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1.1 Jeux en forme normale

1.1.1 Définition d'un jeu

La définition suivante introduit les composantes d'un jeu.

Définition 1   Un jeu est décrit par les éléments suivants:

  1. Un ensemble de $ N$ joueurs : $ I=\left\{
1,2,\ldots,N\right\} .$
  2. Pour chaque joueur $ i,$ $ i\in I,$ un ensemble de straté gies $ A^{i},$ qui contient toutes les stratégies possibles de ce joueur. $ a^{i}\in A^{i}$ est une stratégie particulière du joueur $ i.$ Par conséquent, $ A^{i}=\left\{ a_{1}^{i},a_{2}^{i},\ldots,a_{k^{i}}
^{i}\right\} $ si $ k^{i}$ stratégies sont disponibles pour le joueur $ i.$

    Si chaque joueur $ i$ choisit une stratégie $ a^{i},$ nous pouvons représenter le résultat (ou profil de stratégies) du jeu par un vecteur qui contient toutes ces stratégies : $ a\equiv\left(
a^{1},a^{2},\ldots,a^{N}\right) .$

  3. Pour chaque joueur $ i,$ une fonction de gain, $ \pi^{i},$ qui donne la valeur pour le joueur $ i$ de chaque résultat du jeu : $ \pi
^{i}\left( a\right) .$ C'est un nombre réel :
    \begin{displaymath}
\begin{array}[c]{ll}
\pi^{i}: & A=\underset{i\in I}{X}A^{i}\...
...\ldots,a^{N}\right) \mapsto\pi^{i}\left(
a\right) .
\end{array}\end{displaymath}

Exemple 1 : Le dilemme du prisonnier

Deux individus (Jacques et Pauline) sont arrêtés par la police pour la complicité dans un vol à main armée et ils sont enfermés dans deux cellules séparées sans possibilité de communication.

Chaque individu est interrogé séparément et il a le choix entre nier d'avoir commis le vol ou avouer l'avoir commis avec son complice.

Nous avons donc un jeu non-coopératif avec $ N=2$ joueurs, $ I=\left\{
1,2\right\} =\left\{ Jacques,Pauline\right\} .$

L'ensemble de stratégies de chaque joueur est $ A^{1}=A^{2}=\left\{
nier,avouer\right\} .$

Il y a donc $ 4$ résultats possibles du jeu

\begin{displaymath}
\hspace{-1.5cm}A=\left\{
\begin{array}[c]{c}
\left( a^{1}=ni...
...avouer\right) ,\left( avouer,nier\right)
\end{array}\right\} .
\end{displaymath}

Les gains des individus représentent leur situation qui résulte des années de prisons auxquelles ils sont condamnés en fonction de leurs aveux et il sont négativement liés avec ces années.

Nous avons donc les gains (symétriques) suivants:

Nous pouvons alors représenter ce jeu en forme normale, sous la forme d'un tableau :

$\displaystyle \begin{tabular}[c]{cc\vert cc}
& & Pauline & \\
& & nier & avou...
... $\\
& avouer & $\left( 0,-10\right) $\ & $\left( -8,-8\right) $\end{tabular}$

    Dilemme du prisonnier

Remarques :

  1. Il ne faut pas confondre la stratégie d'un joueur individuel $ a^{i}$ et le résultat $ a$ qui est une combinaison particulière des stratégies de tous les joueurs.
  2. Dans notre définition d'ensemble de stratégies, il y a un nombre fini $ k^{i}$ de stratégies pour chaque agent mais en économie, les ensembles de stratégies sont en général continus et contiennent une infinités de stratégies possibles (choix de quantités, de prix, etc...).
  3. Les gains représentent en général des utilités ordinales et non des sommes monétaires. En économie industrielle, néanmoins, les gains des firmes correspondent souvent à des profits.

La formulation sous la forme d'un jeu permet de clarifier une situation conflictuelle.

Il nous faut en plus comprendre à quelle type de solution ce jeu peut nous conduire.

Pour déterminer cette solution, nous devons étudier l'équilibre du jeu.

1.1.2 Concepts d'équilibre

Parmi l'ensemble des résultats possibles nous devons déterminer ceux auxquels le jeu peut aboutir : les résultats d'équilibre. Nous pouvons alors prédire les situations auxquelles ce jeu va conduire.

La solution idéale correspond à un équilibre unique. Dans ce cas nous pouvons précisément prédire la solution de cette situation conflictuelle.

Néanmoins on a souvent des équilibres multiples. Parfois il n'existe même pas d'équilibre.

Avant de passer à l'étude des concepts d'équilibre, introduisons une notation supplémentaire.

Considérons le résultat du jeu qui contiennent les stratégies de tous les joueurs sauf $ i.$

Nous pouvons alors le noter de la manière suivante :

$\displaystyle a^{-i}$ $\displaystyle =\left( a^{1},a^{2},\ldots,a^{i-1},a^{i+1},\ldots,a^{N}\right) ,\quad a^{-i}\in\underset{j\neq i}{X}A^{j}$    
  $\displaystyle \Rightarrow a=\left( a^{i},a^{-i}\right) .$    

Nous pouvons maintenant introduire les concepts d'équilibre que nous allons utiliser.

\fbox{\textbf{Equilibre en strat\'{e}gies dominantes}}

C'est le concept d'équilibre le plus intuitif mais aussi le plus exigeant.

Une stratégie particulière $ \left( \hat{a}^{i}\in A^{i}\right) $ d'un joueur est une stratégie dominante du joueur i si, quelles que soient les stratégies choisies par les autres joueurs, $ \hat{a}^{i}$ maximise le gain de $ i~:$

$\displaystyle \pi^{i}\left( \hat{a}^{i},a^{-i}\right) \geq\pi^{i}\left( a^{i}
,a^{-i}\right) ,\quad\forall a^{i}\in A^{i},a^{-i}\in A^{-i}.
$

Dans le jeu de notre exemple :

$\displaystyle \begin{tabular}[c]{cc\vert cc}
& & Pauline & \\
& & nier & avou...
... $\\
& avouer & $\left( 0,-10\right) $\ & $\left( -8,-8\right) $\end{tabular}$

avouer est une stratégie dominante de Jacques et de Pauline.

Un équilibre en stratégies dominante est un résultat où tous les joueurs jouent une stratégie dominante.

Un résultat $ \left( \hat{a}^{1},\hat{a}^{2},\ldots,\hat{a}^{N}\right) $ $ \left( \hat{a}^{i}\in A^{i},i=1..N\right) $ est un équilibre en stratégies dominantes si $ \hat{a}^{i}$ est la stratégie dominante de chaque joueur $ i.$

Dans notre exemple $ \left( avouer,avouer\right) $ est un équilibre en stratégies dominantes car avouer est la stratégie dominante de chaque joueur.

Quand il existe et il est unique, ce type d'équilibre nous fournit une prédiction très claire et intuitive sur le résultat d'un jeu.

En fait il est assez proche de la manière dont les acteurs économiques interagissent dans le monde réel.

Malheureusement, ce type d'équilibre n'existe que pour très peu de jeu.

Exemple 2 : La bataille des sexes.

Paul et Jacqueline doivent décider comment organiser leur soirée.

Ils ont le choix entre aller à un match de football $ \left( F\right) $ ou à l'opéra $ \left( O\right) $.

Pour les deux, ce qui compte avant tout, c'est d'être ensemble.

Néanmoins, Jacqueline a une préférence pour le football et Paul pour l'opéra.

Le tableau suivant représente ce jeu. Les gains correspondent à des utilités.

$\displaystyle \begin{tabular}[c]{cc\vert cc}
& & Jacqueline & \\
& & O & F\\ ...
...,0\right) $\\
& F & $\left( 0,0\right) $\ & $\left( 1,2\right) $\end{tabular}$

Bataille des sexes

On appelle aussi ce type de jeu, un jeu de coordination.

Par exemple le choix de standards de télévision ou de lecteur de disquette des Macs et des PCs correspondent à ce type de jeux. Chaque constructeur voudrait imposer son propre standard mais en cas de désaccord, les consommateurs pourraient refuser d'acheter le produit.

Ce jeu ne comporte pas de stratégies dominantes.

Nous devons donc introduire un autre concept d'équilibre pour pouvoir prédire la solution de ce type de jeux.

\fbox{\textbf{Equilibre de Nash (EN)}}$ (1951)$

John Nash a généralisé le concept d'équilibre de Cournot.

C'est le concept d'équilibre le plus couramment utilisé et il est à la base d'autres concepts d'équilibre qui ont été développés plus récemment.

Définition 2   Un résultat $ a^{\ast}=\left( a^{\ast1},\ldots,a^{\ast N}\right) $

$ \left( a^{\ast i}\in A^{i},i=1...N\right) $ est un équilibre de Nash si aucun joueur n'a intérêt à dévier unilatéralement de sa stratégie $ a^{\ast i}$ quand les autres joueurs continuent à jouer $ a^{\ast-i}.$ Par conséquent, pour tout joueur $ i=1\ldots N,$ nous devons avoir

$\displaystyle \pi^{i}\left( a^{\ast i},a^{\ast-i}\right) \geq\pi^{i}\left( a^{i}
,a^{\ast-i}\right) ,\,\,\forall a^{i}\in A^{i}.
$

Pour tester si un résultat $ a$ est un équilibre de Nash, nous devons vérifier si un des joueurs au moins n'a pas intérêt à choisir une autre stratégie. Si ce n'est pas le cas alors $ a$ est un EN.

Reprenons l'exemple du dilemme du prisonnier:

$\displaystyle \begin{tabular}[c]{cc\vert cc}
& & Pauline & \\
& & nier & avou...
... $\\
& avouer & $\left( 0,-10\right) $\ & $\left( -8,-8\right) $\end{tabular}$

$ \left( nier,nier\right) $ n'est pas un équilibre de Nash car

$\displaystyle \pi^{1}\left( nier,nier\right) =-1<0=\pi^{1}\left( avouer,nier\right)
$

Nous savons que $ \left( avouer,avouer\right) $ est un équilibre en stratégies dominantes. C'est aussi un EN :

$\displaystyle \pi^{1}\left( avouer,avouer\right)$ $\displaystyle =-8>-10=\pi^{1}\left( nier,avouer\right)$    
$\displaystyle \pi^{2}\left( avouer,avouer\right)$ $\displaystyle =-8>-10=\pi^{2}\left( avouer,nier\right)$    

Proposition 1   Tout équilibre en stratégies dominantes est aussi un EN mais chaque EN n'est pas nécessairement un équilibre en stratégies dominantes.

Preuve : $ \pi^{i}\left( \hat{a}^{i},\hat
{a}^{-i}\right) >\pi^{i}\left( a^{i},\hat{a}^{-i}\right) ,$ $ \forall
a^{i}\in A^{i},$ $ i=1..N$ car $ \hat{a}^{i}$ est une stratégie dominante de $ i.$ Pour la seconde partie, voir exemple 2.

Multiplicité de l'EN

L'équilibre de Nash n'est pas nécessairement unique.

Reprenons l'exemple de la bataille des sexes.

$\displaystyle \begin{tabular}[c]{cc\vert cc}
& & Jacqueline & \\
& & O & F\\ ...
...,0\right) $\\
& F & $\left( 0,0\right) $\ & $\left( 1,2\right) $\end{tabular}$

Dans ce jeu $ \left( O,O\right) $ et $ \left( F,F\right) $ sont des EN.

Dans ce cas, nous ne sommes pas capables, sans aucune information supplémentaire, de prédire quelle sera exactement la solution du jeu. Les deux résultats sont également vraisemblables.

Non-existence de l'EN

Il n'existe pas nécessairement un équilibre de Nash pour les jeux où les stratégies sont des actions directes des joueurs.

Si l'on reprend la bataille des sexes mais après 30 ans de mariage :

Dans ce cas, le désir de Jacqueline de passer ses soirées avec Paul a disparu avec le temps, tandis que Paul a gardé son amour romantique et il préfère toujours être avec Jacqueline à être seul. Dans ce jeu il n'existe pas d'EN.

Il est possible de déterminer l'équilibre de Nash d'un jeu en utilisant les fonctions de meilleures réponses des joueurs.

Fonctions de meilleures réponses

Définition 3   Dans un jeu à $ N$ joueurs, la fonction de meilleure réponse du joueur $ i,$ $ R^{i}\left( a^{-i}\right) $ associe, à chaque combinaison de stratégies des autres joueurs $ a^{-i},$ la stratégie du joueur $ i$ qui maximise son gain :

$\displaystyle \pi^{i}\left( R^{i}\left( a^{-i}\right) ,a^{-i}\right) \geq\pi^{i}\left(
a^{i},a^{-i}\right) ,\quad\forall a^{i}\in A^{i},a^{-i}\in A^{-i}.
$

Construisons la fonction de meilleure réponse de Paul et de Jacqueline dans le jeu initial de Bataille des sexes :

$\displaystyle \begin{tabular}[c]{cc\vert cc}
& & Jacqueline & \\
& & O & F\\ ...
...,0\right) $\\
& F & $\left( 0,0\right) $\ & $\left( 1,2\right) $\end{tabular}$

Proposition 2   Si $ a^{*}$ est un EN, $ a^{*i}=R^{i}\left( a^{*-i}\right) ,\quad\forall i=1...N.$

Preuve :Par définition, $ R^{i}\left(
a^{*-i}\right) $ maximise $ \pi^{i}\left( a^{i},a^{*-i}\right) ,$ pour tout joueur $ i.$ Par conséquent, aucun joueur n'a intérêt à dévier unilatéralement de sa stratégie $ a^{*i}.$

Dans un duopole de Cournot, les fonctions de réactions sont les fonctions de meilleures réponses des firmes dans un jeu où les stratégies sont des quantités produites.

L'équilibre de Cournot (et de Nash) correspond à l'intersection des courbes de réaction où chaque firme produit de manière à maximiser son profit étant donnée la quantité de son concurrent.

La recherche de l'équilibre de Nash est donc équivalente à la recherche d'un point d'intersection entre les fonctions de meilleures réponses de tous les joueurs.

Dans l'exemple précédent, nous avons

$\displaystyle a^{*1}$ $\displaystyle =O=R^{1}\left( O\right) ,\quad a^{*2}=O=R^{2}\left( O\right) ,$    
$\displaystyle a^{*1}$ $\displaystyle =F=R^{1}\left( F\right) ,\quad a^{*2}=F=R^{2}\left( F\right) .$    

Par conséquent, $ \left( O,O\right) $ et $ \left( F,F\right) $ sont des EN de ce jeu.

1.1.3  Résultats du jeu et bien-être social

Les concepts d'équilibre correspondent à des mécanismes particuliers de coordination des stratégies individuelles.

Dans les jeux non-coopératifs, chaque joueur cherche unilatéralement à améliorer sa situation individuelle.

Est-ce que la solution qui est donnée par l'équilibre est un mécanisme de coordination efficace ?

Pour répondre à cette question nous allons utiliser le concept d'efficacité parétienne et le concept d'optimum de Pareto.

Nous pouvons définir ces concepts dans le cadre de nos jeux.

Définition 4   Efficacité au sens de Pareto.

  1. Le résultat $ \hat{a}$ Pareto-domine le résultat $ a$ si:

    $\displaystyle \pi^{i}\left( \hat{a}\right)$ $\displaystyle \geq\pi^{i}\left( a\right) ,\;\forall i$   et    
    $\displaystyle \exists$ $\displaystyle j,\,\,\pi^{j}\left( \hat{a}\right)$ $\displaystyle >\pi^{j}\left( a\right) .$    

  2. Un résultat $ a^{\ast}$ est un optimum de Pareto s'il n'existe pas un autre résultat qui le Pareto-domine.
  3. Les résultats $ \hat{a}$ et $ a$ ne sont pas Pareto-comparable si

    $\displaystyle \exists i,\quad\pi^{i}\left( \hat{a}\right) >\pi^{i}\left( a\right)$    et $\displaystyle \exists$ $\displaystyle j\neq i,\;\pi^{j}\left( \hat{a}\right) <\pi^{j}\left(
a\right) .
$

Dans le dilemme du prisonnier $ \left( avouer,avouer\right) $ est un EN mais le résultat $ \left( nier,nier\right) $ Pareto-domine cet équilibre.

Un EN n'est pas nécessairement un optimum de Pareto.

Dans la bataille de sexes, les résultats $ \left( O,O\right) $ et $ \left( F,F\right) $ ne sont pas Pareto-comparables.


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