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Conséquences macro-économiques des NTI

L'introduction d'une nouvelle technologie dans l'économie implique en général tout un faisceau de conséquences.

Au niveau macroéconomique, donc agrégé, ce qui sera finalement visible sera la productivité du travail et/ou, la productivité totale des facteurs $ \left( PTF\right) $ (si cette innovation influence la productivité d'autres facteurs).

Cet impact aura néanmoins plusieurs canaux de transmission:

Cette nouvelle technologie peut aussi avoir des effets structurels importants.

En ce qui concerne l'emploi, certaines compétences deviendront caducs avec l'extension de l'utilisation de cette technologie et de nouvelles compétences seront fortement demandées dans l'économie.

Toute l'organisation de la production dans l'économie, ainsi que celle de la commercialisation des biens peuvent être transformées par l'introduction de cette nouvelle technologie.

Depuis la Révolution Industrielle, peu d'innovation technologiques ont eu un tel impact global et profond dans l'économie: malgré la Révolution Industrielle, la productivité des facteurs est restée très stable tout au long du 19e siècle.

C'est seulement à partir de la Seconde Révolution Industrielle (1860-1910) (électricité, la machine à combustion interne...) que l'âge d'or de la croissance de la productivité a eu lieu de 1913 à 1972.

La Seconde Révolution Industrielle a transformé le niveau de vie de l'américain et de l'européen moyens (Gordon (2000)). On peut regrouper ces innovations autour de cinq grappes.

La première est électricité, incluant la lumière électrique et le moteur électrique.

Pendant les premières décennies du 20e siècle, le moteur électrique ont révolutionné la production manufacturière en décentralisant la source d'énergie et en permettant la fabrication des machines-outils flexibles et portables.

Par la suite, l'intégration du moteur électrique dans les appareils ménagers a transformé la vie à la maison et ses corvées: plus de linge lavé à la main, plus de bactéries dans la nourriture gardée à l'air libre...

L'autre invention fondamentale était le moteur à combustion interne qui a rendu possible les voitures et les transport modernes des personnes mais surtout des biens.

L'invention du supermarché, par exemple, n'aurait pas été possible sans cela.

La troisième grappe correspond à l'exploitation du pétrole et du gaz naturel et à tous les procédés qui correspondent à la manipulation des molécules: la chimie, les plastiques et la pharmacie.

La quatrième grappe contient les innovations concernant la communication, l'information et l'audio-visuel: le télégraphe (1844), le téléphone (1876), le phonographe (1877), la photographie (1880-1890), la radio (1899), le cinéma (1881-1888) et la télévision (1911).

La télévision est la seule de ces inventions qui a attendu la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour sa diffusion mondiale.

La dernière grappe n'est pas moins importante et elle concerne la santé publique: la généralisation rapide, à partir de 1880, de l'eau courante, des canalisations internes des habitations et de l'infrastructure sanitaire.

La théorie des microbes de Pasteur a ainsi permis la diminution très forte de la mortalité pendant les quatre décennies qui ont précédé la Première Guerre Mondiale, même avant l'invention des antibiotiques.

Ces cinq grappes ont donné lieu l'augmentation du revenu par tête et à l'âge d'or de la croissance de la productivité (1913-1972) qui ont permis une amélioration du niveau de vie même dans les branches de la consommation où ces innovations n'interviennent pas directement.

Est-ce que la révolution de l'information soutenue par l'ordinateur va impliquer une augmentation du niveau de vie aussi importante que ces cinq grappes?

Sommes-nous à la veille de la Troisième Révolution Industrielle ou d'une Nouvelle Économie?

Pour répondre à cette question, nous allons d'abord considérer la production et la généralisation de l'utilisation de l'ordinateur dans le Monde.

Nous allons ensuite considérer les conséquences réelles de ce phénomène sur la productivité.

Cela nous donnera les moyens de donner une première réponse quant à la question de l'émergeance d'une nouvelle économie.

Nous allons alors étudier plus en détail l'impact de ces technologies sur l'emploi.

Asymétries dans la production et l'utilisation des NTI

Ces technologies seront-elles une source de croissance nouvelle?

Comme pour les autres grappes d'innovations que nous avons considérées, il faut séparer la production de ces technologies de leur utilisation: elles peuvent être une source de croissance

Nous allons voir que tous les pays ne sont pas producteurs de nouvelles technologies.

La question qui se pose de manière dramatiques est alors la suivante: est-il nécessaire d'être producteur pour bénéficier de cette nouvelle croissance?

En effet, la part de ces technologies dans le PIB est bien différente selon que l'on considère la France ou les États-Unis.

\includegraphics[
height=4.5975cm,
width=7.5278cm
]{partticpib0.eps}
Part des NTIC (1998, Source : Comptes nationaux)
\includegraphics[
height=4.5975cm,
width=7.5278cm
]{partticpib.eps}
Part des NTIC (1998, Source : Comptes nationaux)

Au niveau agrégé mais aussi au niveau désagrégé, les NTICS occupent aujourd'hui une place plus importante dans l'économie américaine, comparée à l'économie française.

L'asymétrie est plus forte dans le commerce de matériel informatique et la diffusion de programmes audio-visuels.

Cette asymétrie s'est renforcée dans la décennie qui vient de s'écouler.

\fbox{\includegraphics[height=6cm]{partticva.eps}}

De même, la part des secteurs producteurs de TIC augmente fortement aux États-Unis depuis 1994.

Une tendance similaire s'observe aussi en France, mais de manière plus modérée.

Cela n'empêche pas l'emploi a augmenté de 1990 à1998 dans ce secteur en France deux fois plus rapidement que dans le reste de l'économie.

L'écart entre les deux pays s'observe aussi en ce qui concerne l'investissement en biens et services des TICs: en valeur, l'investissement en biens et services des TICS a plus que doublé aux E.U. entre 1992 et 1999.

\includegraphics[
height=6.0934cm,
width=7.6157cm
]{partticfbcf.eps}
Investissement en TIC (Source: CAE(2000)).

Cette dynamique résulte d'un effort délibéré des entreprises et des pouvoirs publiques aux E.U.: le secteurs des TICS a fait l'objet d'un effort de Recherche et Développement (R&D) renforcé dans ce pays, tandis que cet effort s'est légèrement affaibli en France:

\includegraphics[
height=6.0912cm,
width=9.9287cm
]{partticr&d.eps}
Part des TICS dans la R&D (Source: CAE (2000))

L'écart entre la France et les États-Unis ne devrait donc pas se réduire vu l'effort consacré par ce dernier pays aux secteurs des NTICs.

Étant donnée cette asymétrie entre ces deux pays, ont-ils bénéficié de la même manière de ces nouvelles technologies?

Nous allons revenir sur cette question dans la section suivante.

Mais avant d'aller plus loin, regardons les inégalités qui existent dans le monde face aux nouvelles technologies.

L'Internet est le fondement de ce que l'on appelle la Nouvelle Économie (voir plus loin).

Quel est sa diffusion dans le Monde?

\includegraphics[
height=8.8853cm,
width=11.1127cm
]{internetmonde.eps}
La carte du Monde selon l'utilisation d'Internet (Source : Zarachowicz(2001)).

En effet, cette carte n'est pas étonnante dans la mesure où, pour avoir un accès à l'Internet, il faut (même source)

Par conséquent, il n'est pas étonnant que la carte du Monde selon l'Internet soit en accords avec la carte du Monde selon la richesse (PNB 1998):

\includegraphics[
height=7.027cm,
width=11.0424cm
]{distpib.eps}
Fracture numérique, seulement? (Zarachowicz(2001))

On peut donc parler d'une fracture numérique dans le Monde mais cette fracture découle de la distribution inégale des richesses.

Le paradoxe de la productivité?

Le prix Nobel Robert Solow déclarait en 1987: «On voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques.»

Il soulignait par cette constatation que l'informatisation de l'économie américaine ne se traduisait pas encore par une croissance de la productivité. C'est cela qu'on appelle le paradoxe de la productivité.

Aujourd'hui, les TICs couvrent $ 5\%$ du PIB français et $ 8\%$ du PIB nord-américain même si l'on se limite à une définition restrictive.

Jusqu'à très récemment il était pourtant très difficile d'attribuer un rôle significatif à ce secteur dans la croissance des pays industriels.

Depuis la seconde moitié des années 90, ce rôle est devenu suffisamment significatif pour apparaître dans les statistiques de la croissance et donc on peut considérer que le paradoxe de Solow est maintenant levé aux E.U.:

L'usage de l'informatique expliquerait $ 0.9$ point de croissance aux E.U. (qui a bénéficié d'un taux de moyen de croissance annuel de $ 4\%$ par an entre 1995 et 1999).

Quant à la France, le rôle de ce secteur reste encore trop minoritaire pour démentir le paradoxe mais l'évolution récente de l'économie américaine peut donner des indications encourageantes.

En effet, au niveau microéconomique, l'informatique n'est qu'une des composantes de la productivité dans les entreprises.

L'autre composante essentielle est l'organisation du travail (cf. Ashkenazi dans CAE(2000)).

Si l'introduction de l'informatique n'est pas accompagnée d'une réorganisation du travail dans l'entreprise, elle constitue plutôt une charge qu'une source de productivité.

Cela semble être l'explication du paradoxe de Solow: la baisse de productivité dans les entreprises n'ayant pas encore procédé à la réorganisation (et qui se sont donc contentés d'augmenter leurs investissements et donc leurs charges) cacherait les gains de productivités dans celles qui ont réorganisé le travail de manière à profiter pleinement de ces nouvelles technologies.

Le partage des entreprises entre les deux types était moitié moitié à l'aube des années 90 tandis que les secondes forment $ 80\%$ des entreprises à la fin de la même décennie.

Ce diagnostic, s'il est vrai, est encourageant pour la France car actuellement elle est très proche des E.U. du début de la décennie et donc des gains de productivités l'attendent si les entreprises françaises réorganisent le travail de manière pertinente.

Est-ce que l'asymétrie que nous avons constatée dans la section précédente peut constituer un obstacle à ce rattrapage?

Cela revient à poser la question de la contribution directe des entreprises productrices de ces technologies à la croissance économique.

La France et l'Europe sont dépendantes des E.U. en ce qui concerne la technologie.

Or Gordon a montré que l'essentiel de la croissance de la PTF des facteurs est imputable au secteur des biens informatiques.

Mais la part des autres secteurs dans la croissance de la PTF est loin d'être négligeable:

\includegraphics[
height=6.089cm,
width=9.9287cm
]{croisamertic.eps}
Part des TICS dans la croissance PTF

La contribution importante des ordinateurs montre que la loi de Moore est un moteur essentiel des l'évolution de la PTF.

Cela se traduit aussi par le rôle considérable est dû à la place importante que ce secteur occupe dans les investissements des firmes qui ont pleinement bénéficié des baisses de prix.

La loi de Moore s'exporte donc vers les autres secteurs par le biais d'une baisse continue des prix des biens informatiques.

\includegraphics[
height=6.9172cm,
width=12.0133cm
]{prixticinv.eps}
La baisse des prix des investissements informatiques

La baisse étant considérable en France aussi (même si elle reste plus faible qu'aux E.U.), elle se traduit nécessairement par une baisse conséquente du coût de ces technologies pour les entreprises.

Il suffirait alors que les pays importateurs de ces technologies (comme la France) sachent les utiliser aussi bien que les pays producteurs pour profiter pleinement des gains de productivités dans ce secteur.

On peut néanmoins assez facilement imaginer que du fait de la complexité de ces technologies, les pays producteurs aient un avantage comparative quant à leur maîtrise.

De plus, il existe une dimension cumulative de cet avantage: les pays producteurs ont une avance technologique qui se traduit par des positions de monopoles et des rentes et ces rentes, réinvestis en R&D peuvent encore augmenter le décalage entre les producteurs et les importateurs.

Un pays importateur comme la France ne peut continuer à bénéficier pleinement de ces technologies qu'au prix d'un investissement continu dans la veille technologique et dans la formation.

Dans ce cas, le paradoxe de la productivité devrait aussi être résolu pour les pays utilisateurs.

Nouvelle économie?

Étant donné que le paradoxe de la productivité est levé pour les E.U., quelles sont les conséquences de l'augmentation de la productivité due à l'investissement en TIC?

Y a-t-il quelque chose de nouveau dans le fonctionnement de l'économie américaine du fait de ces conséquences?

Si l'on considère l'évolution d'avant le 11 septembre, un changement important semble apparaître.

En effet, nous avons assisté au cycle d'expansion le plus long de l'histoire récente américaine: au lieu d'être assez rapidement suivi par une décélération des taux de croissance et d'une récessions, la phase d'expansion du cycle semble au contraire se renforcer depuis 1995:

\includegraphics[
height=6.5811cm,
width=12.5054cm
]{croisuscycles.eps}
Nouvelle croissance?

Cette croissance est due au fait que les E.U. ont retrouvé la croissance de la productivité du travail qui s'était affaiblie dans les années 1980 (la fameuse productivity slowdown - le ralentissement de la productivité):

\includegraphics[
height=6.524cm,
width=11.552cm
]{croisus_pdt.eps}
Croissance et productivité du travail

Une analyse plus fine de cette croissance de la PdT montre qu'elle est due pour $ 50\%$ à l'usage des technologies de l'information et pour $ 50\%$ à la hausse résiduelle (non-expliquée) de la PTF.

Or nous avons vu ci-dessus que les TICs contribuent de manière significative à la croissance de la PTF.

Le progrès technique dans ce secteur (la loi de Moore) et les baisses de prix qui en découlent viennent renforcer la croissance de la productivité du travail grâce à l'utilisation des TICs.

En somme nous pouvons dire que les E.U. ont atteint un nouveau sentier de croissance qui n'est pas indépendant de la place importante que les TICs occupent dans la production et les investissements des entreprises.

Il est clair que ce nouveau sentier est encore fragile et il est trop tôt pour parler d'une nouvelle économie au niveau macroéconomique.

Les effets économiques des TICs sont plus visibles au niveau microéconomique, quand on considère l'organisation même de l'activité économique.


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Murat Yildizoglu