Licence Analyse et Politiques Economiques

Année 1999-2000

 

 

 

 

Croissance et propriété industrielle

Isabelle Muller

Farcot Matthieu

 

 

 

 

 

" De toutes les propriétés, la moins susceptible de contestation, c’est sans contredit celle des productions du génie "

Lakanal, rapporteur de la loi du 19-24 juillet 1793 sur la propriété littéraire et artistique

 

 

Introduction :

L’innovation est un moteur de la croissance économique, c’est pour cette raison qu’elle doit être défendue. La propriété intellectuelle est l’instrument de protection de toutes les créations qu’elles soient littéraires, artistiques ou industrielles. La croissance continuelle des échanges dans un monde globalisé sous entend la diffusion du savoir et des connaissances, bases même de l’innovation. Cette diffusion augmente d’autant plus les risques de perte d’exclusivité sur une invention pour une firme créatrice ; d’où la nécessité de la protéger.

Parallèlement , les sociétés se sont développées et il serait intéressant d’analyser si leurs changements ont un rapport avec l’évolution de la propriété industrielle. En ce sens que la croissance économique pourrait avoir un lien avec une partie de celle-ci: les brevets, mesure des innovations et créations.

Nous étudierons dans une première partie les notions du droit de la propriété industrielle ainsi que les différents organismes de validation de l’innovation, qui peuvent présenter cependant quelques inconvénients puis dans une deuxième partie nous analyserons le brevet en tant qu’indicateur de l’activité économique et enfin, dans une troisième partie, nous tenterons de mettre en relation directe les brevets et la croissance économique en se basant sur des données empiriques concernant plusieurs pays.

 

 

 

Première partie : Notions de propriété industrielle

 

La propriété industrielle est un sous-ensemble de la propriété intellectuelle. En effet, cette dernière recouvre à la fois la propriété industrielle, le droit d’auteur et les droits voisins.

Tout comme les biens matériels, les créations intellectuelles peuvent faire l’objet d’un droit de propriété, d’un monopole permettant la reconnaissance du créateur. Le code de la propriété intellectuelle rassemble toutes les dispositions législatives et réglementaires qui s’y appliquent. La protection de la propriété intellectuelle qui s’articule avec la liberté du commerce et de l’industrie, a deux fondements :

-Un fondement moral : les créateurs doivent voir reconnue et protégée leur qualité d’auteur et en recevoir une reconnaissance morale et matérielle.

-Un fondement économique : en garantissant une exclusivité et en assurant la loyauté dans les relations industrielles et commerciales, cela favorise la promotion et l’exploitation des créations.

Le droit de la propriété intellectuelle récompense en même temps qu’il encourage la création dans le domaine littéraire, artistique et industriel. C’est donc un facteur de développement et de progrès.

Nous allons dans cette partie nous intéresser uniquement aux caractéristiques de la propriété industrielle.

Le droit de la propriété industrielle

La propriété industrielle concerne les créations techniques et ornementales (brevets, dessins et modèles) et les signes distinctifs (marques, dénominations sociales, noms commerciaux, enseignes, appellations d’origine et indications de provenance protégées). La protection contre la concurrence déloyale en fait aussi partie. Les droits de propriété industrielle s’acquièrent en principe par un dépôt, parfois par l’usage.

Tout droit de propriété intellectuelle, et par là industrielle, est un monopole. Il comporte pour son détenteur le droit de s’opposer à l’exploitation de l’objet protégé sans autorisation et, en conséquence, le droit de fixer les conditions - notamment financières - auxquelles l’autorisation est subordonnée. Il est sanctionné par l’action en contrefaçon.

Il est d’une durée limitée, à l’expiration de laquelle il tombe dans le domaine public.

Il est territorial : Chaque Etat détermine, dans le cadre des nombreuses conventions internationales applicables, les conditions et les modalités de la protection. En conséquence, la protection accordée en France est sans effet à l’étranger.

 

La protection des signes distinctifs, des innovations techniques et des créations ornementales :

Ces signes peuvent distinguer des produits ou services (marque, appellation d’origine ou indication géographique), des entreprises (dénomination sociale ou nom commercial) ou leur établissement (enseigne).

LES MARQUES :

La marque est le signe distinctif d’un produit ou d’un service. Ce peut etre une marque de fabrique, de commerce ou de service. Elle est protégée pour une durée de dix ans, indéfiniment renouvelable. La marque peut prendre les formes les plus variées : nom patronyme, chiffres, lettres, dessins combinaison de couleurs… elle doit obligatoirement être associées à des produits ou des services à désigner explicitement dans le dépôt.

Pour être protégées, les marques doivent respecter certaines conditions :

 

LES DESSINS ET MODELES :

La protection des dessins et modèles s’applique à tous les objets qui se distinguent de leur similaires par une forme, une configuration ou un effet extérieur leur conférant une physionomie propre et nouvelle. Elle est d’une durée de 25 ans, renouvelable une fois.

Pour être protégeable, la forme doit être nouvelle, c’est à dire ne pas reprendre l’esthétique d’un modèle antérieur. La nouveauté ne peut porter que sur certaines caractéristiques, les autres étant empruntées au domaine public. Elle peut aussi résulter de la simple combinaison d’éléments connus.

La forme des objets industriels est également protégée par le droit d’auteur, sans formalités. Mais le dépôt d’un dessin ou modèle permet au déposant d’être présumé créateur et d’établir la preuve de la date de création.

 

 

LES BREVETS :

Le brevet protège une invention qui se définit comme la solution technique apportée à un problème technique. Ce titre de propriété industrielle confère un droit exclusif d’exploitation pour un temps déterminé. Un brevet peut donner lieu à achat et cession ou à concession à un licencié. Il existe plusieurs types de brevets :

Les brevets nationaux. Il s’agit des demandes déposées dans les formes légales auprès des instituts spécialisés de propriété industrielle des différents pays.

Les brevets indigènes et allochtones. Les demandes de brevets nationaux se décomposent en demandes indigènes, déposées par des nationaux du pays de dépôt, et en demandes allochtones émanant de personnes physiques ou morales résidant hors du pays où s’effectue la demande.

Les brevets à l’étranger. Ce sont les demandes faites à l’étranger par les nationaux d’un pays.

Les procédures d’inscription des brevets pour les divers instituts nationaux spécialisés sont très différentes. Les taux de délivrances en particulier, varient de l’acceptation quasi systématique à plus de 75% de refus. Les différentes demandes de dépôts de brevets et de toute autre protection concernant la propriété industrielle s’effectuent dans plusieurs offices, chacun présentant leurs propres spécificités malgré une toute relative unicité au niveau international

DEFINITIONS DES DIFFERENTS OFFICES DE PROTECTION :

La protection d’une invention sur le territoire français peut se faire selon trois voies :

Le traité de coopération en matière de brevets (Patent Cooperation Treaty : traité international auquel 94 pays sont contractants) est un accord de coopération internationale dans le domaine des brevets. Il s’agit essentiellement d’un traité destiné à rationaliser et à placer sous le signe de la coopération le dépôt, la recherche et l’examen de la demande de brevets ainsi que la diffusion des informations techniques contenues dans les demandes. Le PCT ne prévoit pas la délivrance de " brevets nationaux " : La tâche de délivrer des brevets reste du ressort exclusif des offices des brevets des pays où la protection est demandée ou des offices agissant pour ces pays (les " offices désignés "). Le principal objectif du PCT est de simplifier, de rendre plus efficace et plus économique (du point de vue des utilisateurs du système de brevets et de celui des offices chargés de l’administrer) la procédure à suivre pour demander dans plusieurs pays la protection d’un brevet d’invention. Pour atteindre son objectif, le PCT établit un système international permettant le dépôt auprès d’un seul office des brevets (l’ " office récepteur "), d’une demande unique (la " demande internationale "), rédigée dans une seule langue, déployant ses effets dans chacun des pays membres du traité. Le PCT a aussi comme objectifs principaux d’assurer que les offices nationaux des Etats contractants ne délivrent que des brevets solides, de faciliter et d’accélérer l’accès des industries et des autres secteurs intéressés à l’information technique en rapport avec les inventions et d’aider les pays en développement à accéder aux techniques. Selon les pays, il existe différents systèmes de dépôt de brevets cependant, ils sont tous rattachés au PCT. A titre d’exemple pour les Etats Unis, il s’agit de l’USPTO : L’Office américain des brevets et des marques et pour le Japon, c’est le JPO ( l’office japonais des brevets), qui s’occupe de la demande des dépôts de brevets. Ces deux systèmes seront analysés de manière plus approfondie dans la deuxième partie.

Vision théorique de la propriété industrielle :

Cette présentation de la propriété industrielle comme protection des inventions présente toutefois des inconvénients pour les contractants. L’analyse suivante met en évidence à la fois les problèmes de concurrence au niveau des marchés et les problèmes de divulgation de l’information lors d’un dépôt de brevet :

Dans un premier temps, l’innovateur investit pour obtenir un bien nouveau. Cet investissement en recherche constitue un coût fixe, dont l’ampleur est, a priori, indépendante du volume des ventes. Ce produit nouveau est temporairement monopolistique sur le marché. Les raisons de cette situation sont diverses : Le produit peut être protégé par un brevet, ou l’imitation peut nécessiter un certain délai. Sa position de monopole autorise l’innovateur à fixer un prix supérieur au coût marginal. Il obtient donc une rente. Celle-ci va lui permettre d’amortir ses frais fixes de recherche. De ce fait, il ne peut y avoir de recherche sans concurrence imparfaite. Cette position de monopole ne peut être que temporaire, même si la durée de vie du bien est élevée. En pratique, la durée légale des brevets est limitée (sur une durée plus ou moins longue selon les pays) et la possibilité de contourner ces brevets n’est jamais totalement fermée. Puis la concurrence est restaurée, et donc le prix rejoint le coût marginal. La restauration de la concurrence est interprétée comme la fin de la validité du brevet.

Par ailleurs, le droit des brevets suppose la divulgation de l’information c’est pourquoi les innovateurs la redoutent : elle est le moyen par lequel le savoir technologique passe de la firme innovatrice à ses concurrents. Si la première firme à innover préfère perfectionner elle même son invention pour profiter des effets d’expérience, elle est certainement désinciter à poser un brevet dans une optique stratégique. Différentes options s’offrent alors à elle : ou bien elle attend que son produit ait atteint un haut niveau de sophistication avant de demander un brevet ou bien elle met immédiatement en œuvre son invention en s’efforçant de la conserver secrète. Il est en effet juridiquement possible de conserver sous forme de secret toute connaissance qui constituera alors un secret de fabrique et un savoir-faire. Cette possibilité dépend de la nature de l’invention : il sera plus aisé de garder secret certains procédés de fabrication que des produits dont la commercialisation révèle immédiatement la structure. Mais elle dépend aussi de l’efficacité des moyens de protection alternatifs. Ainsi, plus les exigences de contenu nécessaires à l’obtention d’un brevet sont grandes, plus il est difficile d’obtenir un brevet mais mieux l’inventeur est protégé contre l’arrivée de concurrents cherchant à l’évincer en améliorant son invention. L’attrait d’une protection par brevet dépend aussi de l’efficacité des sanctions permettant d’en assurer le respect et l’effet dissuasif de la sanction dépend de son contenu tel que défini par les tribunaux. En définitive, l’effectivité de la protection des brevets dépend de façon cruciale de l’attitude des tribunaux. Par conséquent, l’exclusivité dont bénéficient les titulaires de brevets doit souvent être mise en perspective avec la crainte des procès pour apprécier de quelle manière les droits de propriété contribuent à promouvoir les innovations. À cela s’ajoute également le coût de revient d’une demande de brevet. En effet, différents coûts entrent en jeu et cette somme relativement importante incite quelquefois les entrepreneurs à renoncer au dépôt de brevet, préférant dans ce cas opter pour le secret.

Il sera ici étudié les rapports entre les brevets et la croissance, car bien que l’activité du brevet ne représente qu’une partie de la propriété industrielle, c’est celle-ci qui nous semble la plus en rapport avec notre sujet.

 

 

 

Deuxième partie : Le brevet

Il convient de présenter dans un premier temps un rapide aperçu de la recherche-développement afin de comprendre les origines de la création du brevet.

 

Présentation de la recherche et développement :

La recherche-développement (R&D) englobe les travaux entrepris de façon systématique dans le but d’accroître les connaissances scientifiques et techniques ainsi que pour l’utilisation des résultats de ces travaux pour amener au stade de l’exploitation de nouveaux produits, matériaux et procédés. On distingue : la recherche fondamentale, la recherche appliquée et le développement.

En France, en 1990, les entreprises auront consacré 103 milliards de francs (source : La France des entreprises, numéro spécial, INSEE-L’Entreprise, novembre 1991) à la R&D, dont 19 % aura été financé par l’Etat. Sur l’ensemble de la période 1970-1990, la dépense intérieure de la recherche industrielle (DIRDE) marque une progression continue qui s’accentue depuis 1979, avec une progression annuelle en moyenne de 4.5 %. Il faut noter que les dépenses en R&D sont toujours concentrées dans quelques branches puisque l’électronique, la construction aéronautique, l’automobile et la pharmacie représentent globalement 70 % du potentiel de R&D (source : ibid.).

L’activité de R&D est très concentrée : les firmes de grande taille (supérieur à 2000 salariés, représentant 6 % du nombre total des entreprises en France), exécutent 63 % de la R&D, et reçoivent 79 % du financement public. À l’opposé, les entreprises de moins de 500 salariés (77 % du nombre total des entreprises) réalisent 18 % des travaux de R&D et reçoivent 9 % du financement public (sources : ibid.).

Résultats du processus de R&D, les dépôts de brevets sont un indicateur de la créativité technologique, mais aussi bien sûr des choix et orientations stratégiques suivis en matière de protection intellectuelle et industrielle par les différents agents.

 

Conséquence de la R&D : le dépôt de demande de brevet

(Source : Bulletin officiel de la propriété industrielle, INPI, 1997)

De 1977 à 1997, les dépôts de demande de brevets indigènes (effectués par des français) en France aura augmenté de 58,54 %. Cette croissance, loin d’être homogène, peut être divisé en quatre périodes : une première, de 1977 à 1983, avec un taux de croissance de 4,46 % (date de référence 1977). Une deuxième, de 1984 à 1989, avec un taux de croissance beaucoup plus fort, de 20,59 % (date de référence 1984). La troisième période, de 1990 à 1994, verra une rechute de celui-ci, à 2,56 % (date de référence 1990). Et enfin la quatrième, de 1995 à 1997, reaugmentant à 15,67 % (date de référence 1997).

Une segmentation des dépôts de demande de brevets indigènes en France est ainsi réalisable : est-ce aussi le cas pour les demandes françaises internationales ?

(Sources : Bulletin officiel de la propriété industrielle, INPI, 1997)

D’après ce graphique, on observe une progression spectaculaire des demandes de dépôts de brevets internationales effectuées par les français. Cette tendance semble correspondre à l’ouverture des marchés mondiaux et donc à la nécessité de protéger les inventions à travers le monde. Par ailleurs, cette ascension a fait diminué à partir de 1991 la demande européenne de dépôts de brevets par des français. En effet, cette dernière décroît depuis 1992 à mesure que la demande internationale augmente. Cependant, il est utile de remarquer que, malgré sa constante progression, la demande internationale reste pour l’instant inférieur au nombre de dépôts de brevets européens. Mais son augmentation nous laisse à penser que la demande internationale pourra rattraper la demande européenne en raison de la mondialisation de l’économie qui nécessite forcément un changement de mentalité de la part des chefs d’entreprise français. D’autre part il est intéressant d’analyser l’évolution de la demande française des dépôts de brevets. Celle-ci peut se scinder en trois phases ; la première de 1977 à 1983 correspond à une baisse relativement importante du nombre de demandes de dépôts de brevets. Cette diminution peut s’expliquer par le fait que, parallèlement on assiste à une augmentation des demandes de brevets surtout au niveau européen. La deuxième phase qui s’étend de 1983 à environ 1988 correspond à une période de croissance des trois types de demande. Or, à cette même période, on constate que la France se trouve dans une phase d’expansion économique, ce qui peut d’une certaine façon expliquer l’accroissement de demandes de dépôts de brevets à la fois au niveau national, européen et mondial. Enfin, la dernière phase débute en 1989, elle est caractérisée par une relative stabilisation de la demande française, qui s’explique de toute évidence par la montée de la demande internationale. On peut remarquer cependant que depuis 1997, les demandes nationales et européennes ont repris une certaine progression mais elle reste moindre par rapport à l’essor de la demande internationale de dépôts de brevets.

 

Etendons notre étude aux dépôts de demandes de brevets mais allochtones (dépôts en France effectués par des non-résidents) cette fois-ci. On remarque que la aussi, 4 intervalles sont visibles : pour la première période (1977-83), une croissance de 26,02 %, pour la seconde (1983-89) 42,69 %, la troisième (90-94) 5,35 %, et la quatrième (95-97), 26,87%.

Certes, les taux de croissance des dépôts de demande de brevets allochtones sont supérieurs, à la fois en volume et en valeur (en moyenne, les dépôts indigènes ne représentent qu’un tiers de l’ensemble déposé à l’INPI).

Mais cette analyse n’est-elle pas simplificatrice ? En donnant ainsi les dépôts de brevets dans leur ensemble, il y a une allusion d’unicité de valeur de ceux-ci. Sous-entendre que la croissance, parce que plus faible dans nos phases 1 et 3, serait uniquement explicable par une baisse des investissements en R&D, par exemple, serait une erreur. Le nombre de brevets associé à un volume donné d’activité technologique varie énormément en fonction des secteurs industriels : plus précisément, la propension à breveter change du tout au tout d’un secteur à l’autre. Subséquemment, si l’on remarque que les dépenses courantes de R&D brutes en France sur la période 1990 — 1994 n’augmentent que de 1,5 % (source : Deuxième rapport Européen sur les indicateurs scientifiques et technologiques, Commission Européenne, décembre 1997), ce qui semblerait corroborer une hypothèse de corrélation entre investissement en R&D brute et la propension à breveter ; pour cette même période et ces même types de dépenses, la croissance est négative aux Etats-Unis (-2,2 %), alors que le nombre de dépôts de brevets à l’INPI croit de façon beaucoup plus positive pour ce pays que pour la France (source : ibid.). Il n’empêche qu’il semble y avoir une corrélation positive entre investissement en R&D et dépôts de brevets pour le cas français, et pour la majorité des pays membre de l’Union Européenne (Angleterre et Allemagne notamment).

Si les indications données par l’INPI sont intéressantes, il convient aussi d’observer celles des trois principaux organismes continentaux, base de la triade.

 

Les brevets dans la triade

Dans le cadre de l’analyse suivante, nous allons tenter de préciser pour les trois cotés de la triade, les structures et les tendances des trois systèmes de brevets en présence : l’OEB, l’USPTO et le JPO.

Nous allons présenter tout d’abord une comparaison entre les systèmes de brevets européens, américains et japonais en fonction du nombre de brevets octroyés dans les trois systèmes, puis les statistiques de l’évolution du nombre de brevets déposés simultanément dans ceux-ci.

Une comparaison entre les trois systèmes : le pays d’origine des brevets octroyés.

D’après la figure ci-dessous, qui donne la répartition des brevets octroyés dans chacun des trois offices de brevets suivant leur pays d’origine, on observe que le facteur d ‘ " avantage national " joue en faveur des inventeurs locaux. Les pays de la CBE ont 48% des brevets de l’OEB, les inventeurs américains, 55% des brevets de l’USPTO et les japonais, 87% des brevets du JPO. De plus, la présence du Japon dans les systèmes étrangers est également très importante — peut être en raison de ses nombreuses exportations en produits technologiques.

Cette analyse peut être biaisée car les trois systèmes ne sont pas comparés dans une même unité, c’est pourquoi il est préférable d’adopter une unité d’analyse commune connue sous le nom de " brevets triadiques ".

(source : " Trilateral Statistical Report ", 1995, OEB, JPO, USPTO, 1997)

 

 

 

Les brevets dans la triade : performances et évolution

La valeur économique des brevets dépend essentiellement des législations des pays, qui présentent de toute évidence des différences importantes. C’est pourquoi des analystes ont tenté de mettre en place des échelles de valeur entre les brevets.

Une de ces échelles consiste à se baser uniquement sur les données de l’USPTO. Toutefois, il est possible de mettre en évidence un autre filtre économique basé au niveau de la triade. En effet, comme les brevets jumeaux sont décelables, on peut établir des correspondances et établir des " familles " autour d’une invention qui rassemble les droits de propriété de tous les pays du monde.

Le modèle triadique prend en compte des facteurs géographiques et économiques du monde moderne. De cette manière, seules les familles de brevets qui sont déposées chez les deux autres membres de la triade sont prises en considération pour chaque pays.

L’évolution de la propension à breveter pendant la période 1980-1994 a vu, depuis le début des années 80, l’Europe accuser un retard important par rapport aux Etats-Unis et au Japon. Depuis 1990, sa position s’est encore détériorée, mais 1993 permet l’observation d’une légère amélioration.

Par contre, après un retard considérable en matière de production de brevets, le Japon, dans un processus de rattrapage spectaculaire a dépassé l’Europe vers 1983 et les Etats-Unis (pourtant leader en la matière) en 1986. Les entreprises japonaises semblent avoir réduit leur production de brevets — peut être en raison de la récession mondiale et des coûts de maintien de brevets auprès de l’étranger-, tout en conservant la première place devant l’Europe et les Etats Unis. Depuis environ 1992, le Japon s’est maintenu à un niveau très élevé de demande de brevets, correspondant approximativement au triple de sa position du début de 1980.

Ainsi, les Etats-Unis qui détenaient la première place dans les années 80, occupent à présent la deuxième place, très proches du Japon. La progression des Etats-Unis a augmenté d’environ 50% entre 1980 et 1990 (en brevets " triadiques ") et se trouve à un niveau stable depuis.

 

Voyons maintenant plus précisément les rapports entre le nombre de brevets et la croissance économique :

 

 

Troisième Partie : Propriété industrielle et croissance économique:

Note : les sources utilisées pour la réalisation des graphiques ici présentés sont pour l’évolution du PIB réel par habitants, en Dollars, les " macro time series ", de la banque mondiale (http://www.worldbank.org/), et pour les données correspondants aux dépôts de demande de brevets à l’INPI, les statistiques 1997 du Bulletin Officiel de la propriété industrielle.

On a vu dans notre deuxième partie les problèmes potentiels à considérer les dépôts de brevet comme des indicateurs de croissance économique. Mais voyons plus en détail le nombre de dépôt de brevets effectuées à l’INPI, par toute les voies de dépôt possibles, pour certains des principaux pays dépositaires de demande de brevet en volume.

Commençons notre analyse par les Etats-Unis :

dépôts de demandes de brevets et PIB par habitant, USA

On remarque une nette accélération des demandes de dépôts de brevets à partir de 1988. Cette période marque pour les Etats-Unis l’entrée dans la nouvelle économie, communément appelé troisième révolution industrielle, celle d’Internet et des biotechnologies, secteurs industriels à très forte propension, de par leur spécificités innovatrices, à breveter. Cela corrobore l’idée des explications classiques de la croissance économique forte et ininterrompue que suit ce pays depuis avril 1991 : la reconquête technologique. Ce phénomène croissance semble confirmer les théories de Joseph Schumpeter : des entrepreneurs saisissant des opportunités de changement et les concrétisant en produits ou processus de production nouveaux, donc brevetables (et brevetés). Sur la période 1977 — 1997, le PIB américain aura augmenté de 35%, et le nombre de dépôts de demandes de brevets de 369%.

Voyons maintenant le cas du japon :

Pour le Japon, on voit une très nette chute du nombre de dépôt de demandes de brevets à partir de 1990, enrayée en 1995. Cela soulève de nombreuses questions quant à la validité de cet indicateur : ce qui semblerait être un effondrement des performances technologiques japonaises ne serait-il pas en vérité une baisse de la propension à breveter des innovations découvertes?

dépôts de demandes de brevets et PIB par habitant, Japon

L’éclatement de la " bulle financière ", et le fait que le Japon semble, en 1990, non pas avoir comblé un retard technologique (chose effectuée en 1980), mais bel et bien être à l’avant-garde et aux frontières de la technologie, vont dans le sens de notre réponse. Notons enfin que cette décroissance très nette dans nos données de l’INPI ne sont pas corroborées par celles de l’USPTO, où celle-ci est beaucoup plus relative. Sur la période 1977—1997, le PIB japonais aura augmenté de 78%, et le nombre de dépôts de demandes de brevets de 633%.

 

 

 

Cas de la France :

On a vu une analyse du nombre de dépôt de brevets à l’INPI dans notre première partie. Il est pourtant intéressant de remarquer qu’il semble exister une corrélation non négligeable entre la croissance de ceux-ci et celle du PIB réel par habitant. Notons que ce sont ici les données de l’INPI qui sont étudiées, d’où une possible " sur représentation Française ", surtout si une généralisation est tirée de ces données. Enfin la croissance des dépôts de demande de brevets est elle-même faible, car par défaut, les brevets français ont une propension naturellement plus forte que les autres à être déposés à l’INPI. Sur la période 1977—1997, le PIB français aura augmenté de 32,5%, et le nombre de dépôts de demandes de brevets de 58%.

dépôts de demandes de brevets et PIB par habitant, France

Face à ces constatations, il faut cependant émettre quelques réserves car ce sont les demandes de dépôts de brevets qui sont prises en compte et non pas les délivrances accordées par les offices . Analysons sur un plan historique les rapports entre demandes de brevet et validation de ces demandes à l’INPI (source: Bulletin Officiel de la propriété industrielle, 1997) :

Le graphique présente les dépôts et les délivrances de brevets en France depuis 1895. Les données de dépôt regroupent tous les dépôts en vue d’une protection en France, avec à partir de 1978 les dépôts effectués par la voie européenne et par la voie internationale.

Avant 1978, tous les dépôts se faisaient par la voie nationale. Les données de délivrance présentées ici concernent uniquement les délivrances effectuées par l’INPI et n’incluent pas les délivrances effectuées par l’OEB.

D’après le graphique, on peut mettre en évidence deux phases dominantes : la première s’échelonne jusqu’en 1973, et se caractérise par une corrélation relativement parfaite entre le nombre de dépôts de brevets et le nombre de délivrances accordées. Cependant, l’année 1973 correspond à une rupture par rapport aux années antérieurs et laisse place à une nouvelle période qui se dissocie totalement de la précédente. En effet, à partir de cette date, il y a une opposition très importante entre le nombre de demande de dépôts de brevets et les délivrances accordées. Ainsi, depuis 1973, les demandes de dépôts ne cessent de s’accentuer alors que les délivrances diminuent de façon irrégulière. Cette rupture brutale peut être expliquer en partie par le premier choc pétrolier qui, d’une certaine manière a pu freiner les investissements notamment en R&D et donc limiter les innovations. Par ailleurs, la validation d’un brevet semble depuis plus rigoureuse.

Quoi qu’il en soit, actuellement, il semblerait que l’octroi ou non d’un brevet ne change pas grand-chose, les demandes de brevets étant des indicateurs concrets de l’activité innovatrice et technologique des sociétés développées et source de l’innovation mondiale.

 

 

 

 

 

Conclusion :

 

 

 

 

La huitième session du GATT a été marquée par l’adoption, pour la première fois, d’un volet spécifique portant sur la protection de la propriété intellectuelle. Dans ce domaine, et en particulier dans celui plus restreint de la propriété industrielle, les enjeux sont devenus si importants qu’ils ont incité les pays industrialisés à un renforcement des protections. C’est justement là une reconnaissance du rôle de la propriété industrielle et intellectuelle dans la croissance économique.

Nous avons approché le brevet comme mesure de l’innovation, en soulignant les limites d’une telle approche. Element-clé de l’axe stratégique d’une entreprise, le droit de protéger ses innovations explique la volonté d’homogénéisation des systèmes de dépôts de brevets au niveau international. Il semble établit que l’analyse bibliométrique permette une explication non négligeable des mécaniques de la croissance des économies développées. Mais quid des économies en développement ?

Le brevet est perçu par certains comme l’outil adéquat de transfert des technologies (The role of patents in the transfer of technology to developing countries, United Nations, Octobre 1964). Certes, la publication d’un brevet oblige à briser le secret, expliquant alors le produit en lui-même mais aussi indirectement la façon de le construire. Mais encore faut-il avoir les moyens technologiques et scientifiques pour comprendre et donc que celui-ci puisse servir de base d’enseignement. Et par la même, les 17 ou 20 années de monopole que l’entreprise obtiendra sur son invention ou innovation risque de briser dans l’âme un processus d’innovation allant bien au delà de l’invention originelle.

Il est établi que la troisième révolution industrielle est en marche, celle des technologies de l’information et des maîtrises de la vie. Début mars 2000, Mr Blair et Mr Clinton ont fait un discours commun quant à la nécessité de rendre public les découvertes faisant l’objet d’une protection industrielle liées au génome humain. Cela nous conduit à nous demander s’il n’existe pas certains secteurs où le brevet serait une arme à double tranchant…

 

 

 

 

 

 

Bibliographie