Dossier B2
Croissance économique dans la théorie de Karl Marx

Gillot Marc-Antoine - Licence APE ­ 1998/1999

 

 Partie I : La construction de l'idéologie de Karl Marx

 

I / Historique

 

I.1 / Biographie de Karl Marx

Né à Trèves (Prusse Rhénane) en 1818, Marx s'oriente vers des études de droit et de philosophie d'abord à Bonn puis à Berlin. En 1841, Marx soutient sa thèse en philosophie sur la différence entre la philosophie et la nature chez Démocrite et chez Epicure. La lecture de Feuerbach, en 1842, plonge Marx dans une étude approfondie du matérialisme. Expulsé de France ; où il a publié par le biais des Annales franco-allemandes en 1844, " Sur la question juive et Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel " ; Marx s'installe à Bruxelles où il écrit avec son ami Engels, " La Sainte Famille " en 1845 et " L'Idéologie allemande " en 1845-46. Ces ouvrages fondent le matérialisme historique. Puis chassé de Belgique, Marx fini par s'installer à Londres en 1849 où il a publié un an plus tôt avec Engels " Le Manifeste du partie communiste ". C'est en Grande Bretagne qui le berceau du capitalisme sauvage que Marx écrit " Travail salarié et capital " (1849), " La lutte des classes en France " (1850), " Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte " (1852), " Contribution à la critique de l'économie politique" (1859) et " La guerre civile en France " (1871). En 1864, Marx prend la tête de la Ire Internationale et après sa dissolution il réduit son activité politique. En 1867, il publie le premier tome du "Le Capital " mais les deux derniers tomes inachevés seront reconstitués et publiés par Engels après la mort de Marx en 1883 à Londres.

I.2 / Le contexte économique

L'époque dans laquelle se situe Marx est celle du machinisme et du capitalisme. Bien qu'au XIXéme siècle la production capitaliste soit dominante, la petite production artisanale reste abondante. De plus, il subsiste des habitudes d'autoconsommation et un manque de pénétration monétaire dans les relations marchandes. Le capitalisme né de l'accumulation primitive de capitaux au profit de la bourgeoisie, reflète, avec l'arrivée du machinisme, une tradition de " déterminisme technique ". En témoigne la formule de Marx : "  Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain ; le moulin à vapeur, la société avec le capitaliste industriel ". (Philosophie de la Misère, 1847)

Marx assiste à la paupérisation des travailleurs qui, sur fond de division du travail, louent leurs bras, leur force de travail. C'est ce qui amène Marx à approcher l'économie qu'il étudie de façon dynamique et en terme de modes de production c'est à dire différents types de forces de production et de rapports de production. Marx oppose alors les forces productives et les rapports matériels de production.

II / La naissance d'une doctrine.

 

II.1 / La philosophie de Marx.

Pour asseoir sa théorie, Marx reprend l'argumentation de Saint Thomas D'Aquin qui prône l'illégitimité du taux d'intérêt par le fait que " le temps n'appartient à personne, mais il appartient à Dieu ". Dans la théorie marxiste Dieu est remplacé par la société qui doit trouver des mécanismes pour permettre le renouvellement et la répartition du produit social. Le temps est un contenant nécessaire de la production. L'économie, pour les classiques, évolue dans le temps tout en restant dans le même cadre institutionnel. La variable principale est alors la population qui varie en fonction du salaire minimum vital : c'est le système ricardien. Marx opère une première distinction vis à vis de la vision classique, en considérant que les institutions changent avec le temps et permettent ainsi d'influer la marche de l'économie. Le capitalisme est donc lié au fonctionnement des institutions. Ces dernières ne sont pas immuables car elles reflètent les rapports qu'il existe entre les classes. Matérialiste, Marx, pense contrairement à Hegel que l'histoire à une fin, donc que l'histoire capitaliste à une fin. Marx croit à la contrainte majeure de la reproduction matérielle d'une société.

II.2 / Marx, un auteur classique. 

Tout comme Smith, Malthus et Ricardo, Marx analyse l'économie en faisant ressortir ces aspects dynamiques. C'est pourquoi il étudie, dans une lignée différente de celle de l'école classique, les effets du taux de profit comme nous le verrons plus tard. Les auteurs classiques, disciples de Descartes, en appellent à leurs raisons. Ils arrivent alors à la conclusion, à l'instar des auteurs socialistes, que la raison entraîne une recherche de l'intérêt personnel et donc que le système capitaliste est le plus approprié pour l'homme. Marx fait une synthèse de la philosophie allemande (Hegel), de la théorie classique anglaise et des socialistes français. Maître de la dialectique, Marx, veut réconcilier la science et la philosophie, afin que la science reconsidère l'homme comme un tout et choisisse une philosophie pour avancer.

Après Smith, Marx redéfinit les notions de capital fixe et de capital circulant 1. Il appelle capital constant : les bâtiments, l'outillage, les matières premières et les combustibles puis capital variable la somme destinée aux salaires des ouvriers. Marx opère une distinction par rapport à Smith qui est dite d'ordre technologique.

La théorie de la valeur travail de Ricardo sert de point de départ à Marx pour élaborer sa théorie. C'est ce pourquoi Marx est catalogué comme un auteur classique. Marx s'appuie sur les auteurs classiques pour démontrer que le système capitaliste présente de nombreux vices. Entre autres, le système capitaliste est le théâtre d'une double aliénation liée à l'exploitation des travailleurs. D'abord aliénation des travailleurs qui vend sa force de travail comme une marchandise. Laquelle est la seule source de valeur. Le salaire de l'ouvrier qui tend vers le minimum de subsistance est le fruit d'intérêts particuliers n'ayant rien de social. D'où le concept de plus-value qui est le résultat d'un " surtravail " de l'ouvrier conditionné par la " superstructure " 2 de la société. Pour exemple, l'ouvrier, après avoir travaillé quatre heures pour fabriquer un objet ayant une valeur équivalente à son salaire, est contraint par son patron de travailler jusqu'à la fin de la journée pour toucher son salaire. La plus-value du capitaliste est donc égale à la différence entre la valeur du bien produit et la valeur de la force de travail utilisée pour produire ce bien. Marx conçoit que le salaire tend plutôt vers un minimum psychologique : " La somme des moyens de subsistances nécessaires au travailleur dépenden grande partie du degré de civilisation atteint "3. Pour Marx la force de travail n'est pas une marchandise, elle revêt un caractère moral et historique. Marx distingue le travail concret qui conditionne la valeur d'usage d'un bien et le travail abstrait qui conditionne la valeur d'échange. Ensuite, l'aliénation des capitalistes eux-mêmes est mise en lumière par Marx. L'argent ; au cur des relations capitalistes ; est l'unique lien " à la vie humaine, à la société, à la nature et aux hommes ". Le capitaliste s'aliène donc lui-même.

II.3 / Du socialisme au marxisme.

Le mouvement socialiste est né d'une réflexion sur la doctrine libérale. Les fondateurs de cette mouvance sont des auteurs comme Henri de Saint Simon, Sismondi et Proudhon. Ils mènent une réflexion théorique sur les effets pervers du libéralisme et cherchent des solutions. Tous mènent une réflexion abstraite que se soit dans le phalanstère de Fourier, dans le magasin d'échange d'Owen, dans l'interventionnisme de Sismondi ou encore dans l'économie dirigée de Saint Simon. On retrouve chez Marx cette tendance utopiste que mettent en avant les socialistes.

Notes : 1 : voir exposé, de C. Gouttefarde, sur Smith, Malthus et Ricardo.  

2 : " superstructure " : terme utilisé par Marx qui est définit comme l'organisation sociale résultant de lois historiques.

3 : K. Marx, Le Capital, t.I, P185. Trad. Roy, éd. Sociales.

La valeur étant propre à l'homme et à son histoire et en considérant que l'homme est naturellement bon, on peut penser que une fois le régime capitaliste anéanti, l'homme pourra jouir de sa véritable nature et ne cherchera plus à exploiter ses semblables. La pensée marxiste réfute l'idée d'une recherche purement intellectuelle sans aboutissement. Le marxisme lie action et pensée. On peut considérer les marxistes au sens étroit et les marxistes au sens large. Par exemple S.Amin, A.Emmanuel, C.Palloix et P.Sweezy, entre autres, sont des marxistes au sens étroit pour avoir été influencés par Marx notamment dans l'analyse de l'exploitation. Kalecki, J.Robinson, Perroux ou encore l'école de la régulation sont marxistes au sens large car leurs approches économiques, tant historiques que sociologiques, sont faites en termes de structure globale examinant l'évolution du système. Les marxistes les plus célèbres sont Lénine, Rosa Luxembourg, Trotsky (cf. conclusion).

 

Partie II : Les moteurs de la croissance.

I / Dynamique de la plus-value.

D'après Marx, le moteur de l'activité économique est la recherche par les capitalistes d'une plus-value ou surproduit toujours plus important. Le capital, humain et financier, est alors un moyen utilisé par les capitalistes pour arriver à leurs fins : c'est à dire faire prospérer le capital. La conception de la croissance chez Marx se présente en quelque sorte comme une " dynamique de la plus-value ". Contrairement aux classiques ; qui définissent le capital comme un ensemble de moyens de production et, donc, le capitaliste comme celui qui possède le capital ; Marx définit le capital en fonction des capitalistes. C'est à dire qu'il constate que la classe capitaliste, sans travailler, prélève une partie du produit social. Le capital dégagé n'est alors pas un ensemble de biens de production mais un ensemble de production utilisé de manières diverses pour récupérer des plus-values.

Le volume global de la plus-value (ou taux moyen) crée par l'économie est dépendant de trois facteurs. Le premier facteur explicatif, selon Marx, est relatif à la part de capital variable employé par les capitalistes. C'est à dire la part réservée au paiement des salaires. Dans une logique de salaires de minimum vital, plus le capital variable est utilisé et plus le nombre de travailleurs sera important ; donc il y aura davantage de plus-value. Ensuite, Marx considère que la plus-value varie avec le prix de la force de travail qui dépend des lois du marché. Enfin, le troisième facteur déterminant est l'intensité d'exploitation du travail. Soient la durée pendant laquelle la force de travail est exploitée et le rendement de cette dernière. Quand Marx parle de la force de travail, il entend par là la force sociale du travail qui est le fruit des efforts combinés des forces de travail individuelles de toute la société. Indépendamment des considérations énoncées ci-dessus sur le capital et le travail, la grandeur de la plus-value (plus généralement du taux moyen de plus-value) est variable selon les rapports de forces qui sont établis entre les classes qui constituent la société.

II / La reproduction du capital.

L'accumulation du capital est possible par une capitalisation du surproduit dégagé par l'exploitation capitaliste. Marx distingue le capital individuel et le capital social. Il envisage la reproduction de ces deux types de capitaux. La reproduction du capital individuel souligne l'opposition existante entre le capitaliste et l'ouvrier, c'est la loi générale de l'accumulation capitaliste analysée par Marx dans le livre I du Capital. La reproduction du capital social est une juxtaposition de " spirales individuelles "4. L'accumulation du capital individuel est d'autant plus prospère en cas de " surpopulation relative ". En effet, les travailleurs sont contraints de se déplacer pour trouver du travail, ce qui rend l'offre plus élastique. Il n'y a pas de hausse de salaires et les capitalistes peuvent ainsi augmenter la part de surtravail par rapport au travail effectif du fait de la disponibilité d'une " armée de réserve ". Une dynamique de croissance du mode de production est donc amorcée. La reproduction du capital social met en jeu en plus la lutte entre les capitalistes en ce qui concerne le partage des plus-values 5.

Marx opère encore une distinction entre reproduction simple et reproduction élargie du capital. La reproduction du capital social reconnaît deux sections, ou secteurs, qui représentent les instruments de production (I) d'une part, et les biens de consommation (II) d'autre part. Ces deux sections décrites par Marx sont communes aux sociétés pré-capitalistes, capitalistes et socialistes selon Cosa Luxembourg. Dans chacune de ces sections le capital social est composé du capital variable (V) et du capital constant (C) ; ce dernier étant lui-même composé du capital fixe et du capital circulant (celui-ci comprend aussi le capital variable). La composition organique du capital ; notée K=C/V ; est constante. Il existe une répartition unique du travail entre les deux secteurs. Une autre hypothèse forte est que le taux d'exploitation ; noté E = plv / V ; des deux sections (I) et (II) est identique.

Notes : 4 : Expression de Sismondi, " Nouveaux principes d'économie politique ", Paris 1819.

5 : plv (I et II) est la plus-value ( respectivement du secteur production et du secteur consommation ).

On a Pi = Ci + Vi + plvi , avec i = I , II ; on notera cette égalité : "Equilibre ".

La reproduction simple a donc lieu comme suit : le produit total du secteur production (PI) est égal à la somme du capital constant pour le secteur production (CI) et du capital constant pour le secteur consommation (CII) soit : PI=CI+CII. Le secteur production garde le même volume de capital constant (modèle quantitativement limité au produit du secteur production) et achète au secteur consommation des biens ; destinés aux capitalistes producteurs (plvI) et à leurs ouvriers (VI) ; pour une somme de plvI+VI. Cette somme perçue par le secteur consommation est alors échangée ( sur un marché concurrentiel ) contre des instruments de production nécessaire au renouvellement des biens de consommation, soit CII=VI+plvI : le capital constant du secteur consommation (CII) est limité au produit du secteur production. Les capitalistes du secteur consommation conservent et consomment : plvII pour eux et leurs ouvriers : VII. Le produit total du secteur consommation est absorbé par les capitalistes et les ouvriers de (I) et (II) soit : PII=VI+plvI+VII+plvII. La reproduction simple du capital donc une accumulation nette nulle.

La reproduction élargie du capital social constitue la clé de voûte de la croissance pour les marxistes. L'accumulation du capital social permettant la croissance dans l'ensemble de l'économie se distingue de l'accumulation du capital individuel facilitant le développement de l'entreprise. D'ailleurs la reproduction élargie du capital individuel se fait par conversion de la plus-value dégagée par l'entrepreneur en capital additionnel. Tandis que la reproduction élargie du capital social passe par une capitalisation de la plus-value, c'est à dire la transformation de la plus-value en forces productives additionnelles supplémentaires. C'est en ces termes que l'on peut définir l'accumulation nette positive dans ce modèle élargi. Les capitalistes sont les seuls épargnants. Et, Marx suppose que les capitalistes du secteur production n'investissent pas dans le secteur consommation et inversement. On admet que les travailleurs vendent leurs forces de travail à sa valeur réelle. Pour expliquer le modèle de reproduction élargie, reprenons l'exemple étudié par Marx dans " Le Capital " (page 155). Les valeurs utilisées sont exprimées en termes réels. Le produit du secteur production est : 6(PI)=4(CI)+1(VI)+1(plvI) ; celui du secteur consommation est : 3(PII)=1.5(CII)+0.75(VII)+0.75(plvII). Pour qu'il y ait accumulation du capital social, il est nécessaire d'avoir un déséquilibre entre les deux secteurs en faveur du secteur production ; moteur du produit social ; soient PI>CI+CII et PII<VI+plvI+VII+plvII. Les capitalistes du secteur production investissent une part de leur plus-value (soit *plvI=0.5(plvI) par exemple) : c'est la base de l'accumulation. Cette fraction *plvI=0.5(plvI) de capital est alors répartie dans le secteur production selon la constance de la composition organique du capital. La répartition de cette fraction augmente le capital constant de 0.4(plvI) et le capital variable de 0.1(plvI) ; pour payer les ouvriers supplémentaires suite à la hausse du capital constant ; du secteur production. Pour payer ces ouvriers supplémentaires du secteur production, ce secteur échange des instruments de production au secteur consommation pour une somme de 0.1(plvI), ce qui augmente le capital constant du secteur consommation de 0.1 unité. Pour payer ces nouveaux instruments de production, le secteur consommation ampute sa plus-value initiale de 0.1. Et pour payer leurs ouvriers supplémentaires, les capitalistes du secteur consommation prélèvent encore 0.05 sur leur plus-value, d'après la composition organique de ce secteur. On a donc 3(PII)=1.6(CII)+0.8(VII)+0.6(plvII) et 6(PI)=4.4(CI)+1.1(VII)+0.5(plvII). Le produit total n'a pas changer (égale à neuf) mais le capital total (C+V) des deux secteurs à augmenté : de 7.25 (=4(CI)+1(VI)+1.5(CII)+0.75(VII)) à 7.9 (=4.4(CI) +1.1(VI) +1.6(CII) +0.8(VII)). D'après le taux d'exploitation initial E=1, il est logique que la plus-value augmente et s'égalise au bout d'un cycle de production à hauteur du capital variable, ceci dans chaque section. On obtient donc 6.6(PI)=4.4(CI)+1.1(VI)+1.1(plvI) et 3.2(PII)= 1.6(CII) +0.8(VII) +0.8(plvII) ; soit un produit total de 9.8 (supérieur à 9 initialement). Le processus d'accumulation du capital continu ainsi suivant les cycles de production. Dans ce modèle " l'armée de réserve " de chômeurs joue un rôle essentiel dans la dynamique du système. Marx montre, d'après ce modèle élargi, que le secteur production constitue son principal marché. C'est la production pour la production qui est une des sources des crises capitalistes, comme nous le verrons dans la partie III, sous-section II.1.

Deux lois qui sont propres au système capitaliste : la loi de l'accumulation incite à la concentration. En particulier, la loi de la concentration entraîne une prolétarisation croissante. Ces prolétaires seront de moins en moins aptes à se défendre et de plus en plus pauvres.

 

Partie III : Les rouages de l'économie.

I / La théorie de la répartition.

La répartition des richesses dans la société dépend de comment sont considérés les individus à l'intérieur de cette société. Il ne s'agit pas de faire une répartition cas par cas mais entre groupes d'individus. L'approche de Marx est macroéconomique. Les relations s'établissent " intergroupe " et " intragroupe ". Ce qui signifie que le problème de la répartition est à envisager entre les divers groupes sociaux constituant la société, puis entre les sous groupes constitués au sein d'un même groupe. Ensuite, la répartition se fait entre les individus.

Marx divise la société en deux groupes. Le groupe des travailleurs ou prolétaires et le groupe des capitalistes ou bourgeois. Le premier groupe détient la force de travail et le second groupe est celui des capitalistes qui, sans fournir de travail, dégagent des plus-values par le biais des institutions. La répartition vue par Marx relève du partage du produit social entre ces deux groupes car c'est ce partage qui détermine le fonctionnement et l'évolution du système économique. Marx minimise les conflits qui peuvent apparaître au sein du groupe des prolétaires. Il fait référence au prix moyen du travail et admet des inégalités de salaires peu importantes d'un travailleur à l'autre. Pourtant il existe bien des mécanismes de répartition à l'intérieur de ce groupe où subsistent des disparités non négligeables entre les sous groupes prolétaires. A contrario, Marx se penche sur la question de la répartition de la plus-value pour le groupe des capitalistes. Il distingue les sous groupes des industriels, celui des entrepreneurs, des marchands, des prêteurs, etcet il conclut que les tensions et les disparités internes sont moins importantes que celles qui existent entre les capitalistes et les prolétaires.

La répartition de la plus-value s'effectue entre les branches de production en fonction non pas du taux de plus-value (égal à plv/V) mais en fonction du taux de profit (égal à plv/V+C)6. Plus-value et taux de plus-value reflètent les oppositions entre capitalistes et salariés. Profit et taux de profit traduisent les tensions entre capitalistes. Pour l'entrepreneur la valeur produite ; qui est le fruit du seul travail ; découle de la totalité du capital (variable et constant). Le taux de profit détermine les flux de capitaux. Ces derniers influent alors sur les quantités produites et sur les prix des marchandises. Marx définit le profit comme de la " plus-value réalisée "7. Le profit est le stimulant du capital individuel, le taux de profit est celui du capital social ; donc sont déterminants pour la répartition.

La mobilité des capitaux est cependant freinée par le manque de mobilité de la main d'uvre, la présence de capitaux fixes (coûts irrécouvrables) et de monopoles. Le profit global se répartit entre les branches mais également entre les différents types de capitaux (capital industriel, commercial, monétaire, foncier). Mais essentiellement en faveur du capital industriel, les autres types de capitaux ne jouant qu'un rôle secondaire dans la répartition. En considérant cette double répartition on peut évaluer les revenus des capitalistes. Le taux de profit apparaît alors comme un régulateur : si un secteur produit en abondance par rapport aux besoins il y aura des méventes d'où une baisse du taux de profit.

La plus-value tient une place importante pour l'industrie, comme nous l'avons vu. Marx distingue ce qu'il appelle les capitalistes en fonction ; propriétaires des moyens de production ;

Notes : 6 : Le taux de profit déterminé par Marx est faux. Voir " Economie Politique ", 3ième éd., Gilbert Abraham-Frois,

Economia, p. 81-82 : titre 4.3/ L'erreur de Marx.

7 : Lettre à Engels, en annexe au Capital, t.III, p. 234.

et les propriétaires des moyens naturels (terres, gisements, etc..). Ces deux catégories de capitalistes se répartissent la plus-value en jouant de leurs rapports de forces. D'ailleurs, Marx pour expliquer cela, reprend la théorie de la rente de Ricardo et conclut que la valeur de la rente dépend, non pas de la fertilité de la terre mais, des rapports sociaux au même titre que le profit et l'intérêt. En ce qui concerne la rente différentielle, Marx, attribue la différence de fertilité des terres à l'usage que l'homme en a fait.

Enfin, Marx estime que la répartition du produit social ; partagé entre salaire et plus-value ; entre les sous groupes capitalistes n'a pas d'influence sur la répartition principale.

II / Socialisme ou anarchie.

II.1 / Les crises

Le système capitaliste connaît des crises dites de surproduction ou de sous consommation comme l'avait pressentit Sismondi. Les crises reflètent les incohérences du système capitaliste. Elles se traduisent donc par une impossibilité découler les marchandises produites qui s'accompagne d'une baisse des prix. De nouveaux consommateurs apparaissent et en même temps un plus grand nombre de chômeurs. Les branches pléthoriques de l'économie, où le développement a été le plus anarchique, sont plus touchées par les crises que les branches peu performantes. Cette sous consommation entraîne une baisse du taux de profit ce qui contracte le produit social. Pourtant la dépréciation du capital constant est source d'augmentation du taux de profit sachant que l'augmentation de la valeur du capital constant est à l'origine de la tendance à la baisse du taux de profit. La baisse tendancielle des taux de profit étant freinée, les forces productives peuvent se reconstituer.

Les crises sont la conséquence de l'accroissement des forces productrices. Les crises permettent un réajustement nécessaire de la demande des moyens de production, trop importante, vers la demande des moyens de subsistance. Notamment, dans le cas de reproduction élargie, le secteur production devient trop important par rapport au secteur consommation. Il y a une crise de surproduction. Le problème est que le capital est mis en valeur sous forme abstraite et non consommé. En cherchant à élever le taux de plus-value et en s'accumulant, le capital, sous l'égide des capitalistes, limite la consommation finale de la société. Dans le cas de reproduction simple du capital : Exemple : pour la reproduction simple du capital et étant données les hypothèses relatives au modèle énoncées dans la partie II, section II, on a : 6(PI)=4(CI)+1(VI)+1(plvI) et 5(PII)=3(CII)+1(VII)+1(plvII). Dans ce cas le produit total du secteur consommation est de cinq unités alors qu'il devrait être de quatre, soit 4(PII)=1(VI)+1(plvI)+1(VII)+1(plvII). Les besoins du secteur production sont de deux unités (=1(VI)+1(plvI)). Pour les satisfaire le secteur production échange ; par le biais du marché ; au secteur consommation des instruments de production contre des biens de consommation à hauteur du volume de capital 1(VI)+1(plvI). Le secteur consommation utilise pour sa production un volume de capital constant de 3(CII). Le secteur production se trouve dans l'impossibilité de vendre ces produits pour la somme de une unité restante. Il diminue sa production et limite par là même la consommation de leurs ouvriers à 0.5(VI), par exemple. Au bout d'un cycle de production la plus-value aura baissée à hauteur du capital variable dans ce secteur production. Le secteur consommation n'achètera alors plus qu'une unité d'instruments de production, soit 0.5(VI)+0.5(plvI). La main d'uvre employée ; ou le capital variable (VII) utilisé ; dans ce secteur sera donc moindre. De ce fait le secteur production baissera sa production, entraînant une diminution de la consommation de leurs ouvriers, et ainsi de suiteUne crise est amorcée.

Le travail productif est source de crises : Plus le travail sera productif plus la production en volume sera importante ; pour la reproduction simple le capital social progresse au rythme de la productivité et pour la reproduction élargie il progresse plus que proportionnellement. D'où le problème des sociétés capitalistes victimes de leurs contradictions. Mais Marx pense que les variations de prix seraient dues notamment au montant de travail incorporé d'un bien. Le progrès technique est le seul qui peut faire baisser significativement le montant de travail incorporé du fait entre autres de l'expansion continue et de la concentration (économie d'échelle). Le progrès technique est source de croissance. La baisse des prix des biens dans une branche qui servent de matière première dans d'autres branches aura pour conséquence de contracter le capital contant des diverses branches. La diminution du capital contant a pour effet d'augmenter le taux de profit à court terme. Comme nous l'avons vu ci-dessus, les forces productives se développent alors, ce qui est à l'origine des crises. La croissance connaît cependant elle-même des difficultés à cause du soutient qui est apporté au progrès technique. L'usure normale, c'est à dire le progrès technique, entraîne la rotation du capital fixe avant son usure physique. Si le capital devient prisonnier de son élément fixe on a une situation de crise périodique. Enfin, les crises, faisant baisser les salaires et augmenter le chômage, sont des moments opportuns pour renforcer la position de certains entrepreneurs. C'est en effet le moment où les innovations sont mises en place sur fond de concentrations (fusion, rachat, prise de participation, etc). Le progrès technique ainsi appliqué dans ces nouvelles unités recomposées est propice à l'aggravation des crises futures.

En temps de crise le taux d'intérêt général ; ayant comme plafond le taux de profit moyen ; peut atteindre des valeurs au-dessus de ce plafond. L'harmonisation violente du produit social entre les branches, dû à la contraction de ce produit, fait augmenter la valeur du capital donc du taux d'intérêt ou valeur d'usage de l'argent. L'intérêt représentant une part du profit moyen appartenant aux capitalistes prêteurs.

 

II.2 / Le post-capitalisme

La prolétarisation d'un nombre plus en plus grand d'individus pourrait pousser ceux-ci à la révolte. Marx jugeant les pratiques capitalistes immorales, conclut à cette issue. D'autant qu'il pense que les valeurs morales de l'homme lui sont intrinsèques de par son histoire. Les contradictions inhérentes au système capitaliste le dynamisent d'autant pour son développement futur. Marx écrit d'ailleurs : " La masse absolue du taux du profit peut donc s'accroître progressivement, malgré la diminution progressive du taux de profit "8. Diminution progressive qui est due selon Marx à ce que la plus-value provient du capital variable et que celui-ci augmente moins vite que le capital constant. D'où une plus-value qui croît moins vite que le capital total.

Marx préconise un retour à des rapports humanisés. C'est pourquoi il envisage une société quasi patriarcale adaptée aux aspirations humaines. Il parle de cette société comme " une réunion d'hommes libres travaillant avec des moyens de production communs et dépensant, d'après un plan concerté, leurs nombreuses forces individuelles comme une seule et même force de travail social " 9. Pragmatique et réaliste, il envisage des stades intermédiaires pour arriver à cette nouvelle société. Marx les appelle " les deux phases du communisme ". La première phase est la phase intermédiaire ou socialiste où la propriété privée des biens naturels et de production est bannie. C'est une société de travailleurs régit par l'Etat et propice à la théorie de la valeur. Au niveau individuel, la marchandise travail peut alors s'échanger contre une autre marchandise, ce qui n'était possible que de manière agrégée dans la société capitaliste. Marx ; en accord sur ce point avec Böhm-Bawerk qui l'a critiqué ; pense qu'il existe une tendance à ce que la valeur (d'échange) des choses se proportionne aux quantités de travail socialement nécessaire pour les obtenir. Le temps socialement nécessaire à la production d'un bien est le temps nécessaire dans une société donnée pour produire ce bien.

Notes : 8 : Le Capital, l. III, t. X, p. 131 (Costes) souligné par Marx.

9 : Marx, Le Capital, t. I, p.95.

L'autre étape est la phase du communisme où l'homme alors sans aspiration individuelle acceptera de travailler sans rémunération du fait du progrès technique atteint. Théorie valeur ne s'applique plus. " La société pourra écrire sur ces drapeaux : De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins " 10.

Note : 10 : Marx, Critique du programme de Gotha, op. cit., p.23.

 

Conclusion : Critiques et perspectives

L'analyse de Marx, loin d'expliquer la complexité du monde réel, est contestable sur plusieurs points. Marx, fort d'avoir mis en lumière les mouvances de l'homme et sa capacité à transformer son environnement, n'a pas prévu dans son étude le partage de la plus-value, du profit, entre les entrepreneurs, les salariés et les cadres ; sortes de nouveaux salariés. L'intérêt de cette " nouvelle classe " est très différent de celui des salariés. Sont-ils une classe intermédiaire, à mi-chemin entre capitalistes sauvages et salariés de base ? Marx a pourtant fait la distinction entre travail qualifié et travail de manuvre, estimant ainsi qu'une heure de travail qualifié équivaut à plusieurs heures de travail de manuvre. Il est certain que Marx, en minimisant les clivages qu'il existe dans la classe prolétaire, pouvait considérer le salaire moyen des prolétaires sans se préoccuper de la hausse des salaires des travailleurs qualifiés par rapport aux salaires des ouvriers. De plus aujourd'hui les travailleurs dans l'industrie tiennent une place moins importante dans l'économie qu'à l'époque de Marx et limiter les salaires dans cette branche n'affecte que partiellement la demande.

Le contexte dans lequel Marx énonce ces concepts est celui d'un marché atomique concurrentiel. Il n'a que très peu abordé le thème du monopole (essentiel dans l'économie actuelle), hormis le cas de monopole naturel ou de détenteur d'un brevet exclusif. Ce thème est étudié après Marx par Hilferding, Lénine ; ce dernier parle de " l'impérialisme comme stade suprême du capitalisme " ; Trotsky dénonce le manque de contre pouvoir du prolétariat, Baran, Sweezy ou encore l'école de la régulation.

Marx est le premier à avoir établit un modèle de croissance du produit social précis. Schumpeter se rapproche de Marx avec l'étude des circuits stationnaires reprise dans sa " Théorie du développement économique ".

Marx nous montre que le système capitaliste n'est que le résultat et la continuité du système féodale. Dans le modèle de reproduction élargie, Marx pose des hypothèses lourdes, notamment concernant la mobilité des capitaux. Ces derniers ne pouvant être réinvestis que dans le secteur d'où ils proviennent, ce qui est contraire à la libre circulation des capitaux et à la concurrence pure et parfaite. De plus, les marchés extérieurs ; offrant des débouchés ; ne sont pas traités par Marx pour expliquer le fonctionnement du système capitaliste. Mais par ces schémas de reproduction élargie Marx veut montrer qu'une nouvelle distribution du produit social est possible. Marx souhaite une croissance harmonisée susceptible de déboucher sur son idéal de société.

Bibliographie :

Jean Marchal, " Deux essais sur le marxisme ", éd. Génin, Librairie de médicis

Eliane Mossé, " Marx et le problème de la croissance dans une économie capitaliste ", Centre d'études économiques (Etudes et Mémoires), Armand

Karl Marx, " uvres Economiques I-II , Pléiade, Gallimard.

Congrès Marx international, 1995,   " Actualiser l'économie de Marx ", Paris. Ed. Puf.

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Gilbert Abraham-Frois (éd.), " Problématiques de la croissance ", vol. II, 2ième éd., Economica