5.1 Aide internationale et croissance (Ch 6)

L’aide internationale visant à combler le déficit de financement se fait depuis les années 1980 de manière conditionnelle à la réalisation des réformes politiques. L’ajustement avec croissance était le slogan qui guidait ces programmes d’ajustement. Dans les années 80, chaque pays d’Afrique avait reçu, en moyenne, six prêts d’ajustement, il y en avait quatre pour chaque pays asiatique et trois pour chaque pays de l’Europe de l’Est, de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient. Résultat : peu d’ajustement et peu de croissance... La croissance des débiteurs a été 3.5  points en dessous des prévisions initiales de la Banque Mondiale. [Fig 6.1, page 103] Ni pour l’inflation, ni pour la réduction de la prime sur le marché-noir de devises1   , ni pour la fermeture des entreprises publiques faisant des pertes, les ajustements ont pu être mis en oeuvre.[Tab. 6.1, page 108] Pourtant cet insuccès n’a pas empêché ces pays de continuer à obtenir des prêts : la BM et le FMI ont fait dix huit prêts d’ajustement à la Côte d’Ivoire entre 1980 et 1994 et vingt deux prêts au Pakistan entre 1970 et 1997. Pourtant la Côte d’Ivoire a gardé un déficit budgétaire moyen de 14%  du PIB et celui du Pakistan n’a jamais passé en dessous de 7%  du PIB. Ces prêts n’ont pas non plus tenu compte des taux d’intérêt réel négatif imposé par les gouvernements qui fixent le taux d’intérêt et font fonctionner la planche à billet pour créer l’inflation. De même, le niveau de corruption dans les pays n’était pas une condition étudiée dans ces prêts. De manière globale, il apparaît que la gestion de cette aide n’a pas eu d’impact réel sur les choix de politiques des débiteurs. Il semble que les objectifs stratégiques (de politique internationale) des donneurs semble être le principal critère qui guide l’accord de ces aides.

De toute manière, les gouvernements débiteurs trouvent souvent des moyens pour avoir l’air de réaliser les ajustements demandés. Le problème est le suivant : un gouvernement qui était irresponsable de manière à causer les problèmes économiques qui ont conduit à l’aide, garde toutes les incitations pour continuer à se comporter de manière irresponsable après l’obtention du l’aide. L’irresponsabilité se traduit alors par un ensemble d’astuces qui ont la fâcheuse habitude d’hypothéquer l’avenir du pays en vue de faire semblant de réaliser les ajustements :

La fuite en avant dans la dette publique est bien sûr une astuce utilisée très fréquemment mais elle ne peut marcher qu’un certain temps. Les gouvernements développent alors d’autres astuces :

Le gouvernement peut alors avoir l’air de respecter pleinement les conditions du prêt tandis qu’il est en fait en train de renvoyer à plus tard les problèmes. Les prêts d’ajustement futurs seront alors utilisés pour faire face à un problème structurel encore plus grand. Ce qui peut expliquer par exemple le fait que certains gouvernements ont reçu un nombre considérable de prêts d’ajustement. Une fois la crise à la porte, il semble que la BM et le FMI sont capables de débloquer des sommes encore plus considérables (tandis qu’il rechignent à se mobiliser pour prévenir les crises).

On voit bien que cette dynamique ne peut vraiment inciter les ajustements structurels visés par ces organismes. On peut même observer un effet négatif des programmes de FMI sur la croissance (Przeworski & Vreeland 2000).

En effet, comme les pays qui ont une pauvreté forte obtiennent plus d’aide que d’autres, ces pays ont très peu d’incitations à réduire leur problème de pauvreté. ”Les pauvres sont pris en otage pour extraire de l’aide des prêteurs” (page 116).

Comment redresser ces incitations perverties ? En fait, si les donneurs déléguaient la décision de reconduire les aides à une agence autonome et inflexible, les pauvres des pays débiteurs se trouveraient sûrement mieux car cette agence pourrait menacer de manière crédible de ne pas renouveler les aides pour les pays qui ne respectent pas les conditions nécessaires pour que les pauvres puissent bénéficier de ces aides. Mais le fait de faire dépendre les aides de changements apparents de politiques peut avoir d’autres effets pervers sur les débiteurs : une série continue d’ajustements zigzaguant dans ces pays, entre ajustements et obtention de fonds supplémentaires, rechutes et réajustements... Dernière élément d’incitations perverses à traiter est le fait que les pays qui se sont déjà beaucoup endettés ont bien sûr plus de mal à rembourser les dettes et comme on ne veut avouer publiquement leur insolvabilité (sinon cela pourrait réduire les budget des organismes préteurs), on finit par leur préteur encore pour qu’ils puissent rembourser les anciennes dettes. Le pire est que les endettés sont parfaitement conscients de ces incitations perverties et les utilisent pendant les renégociations des dettes.

En définitive, si on voulait vraiment rétablir des incitations saines, on devrait augmenter l’aide aux pays dont les revenus augmentent car ils appliquent réellement de meilleurs politiques, plutôt que de la baisser comme le fait les politiques actuelles d’aides par les organismes internationaux.