Licence Analyse et Politiques Economiques

 

Année 1999-2000

 

 

 

 INNOVATION ET CROISSANCE

 

 

FELLRATH Frédéric

FROISSART Nicolas

 

 

 

 

PLAN

 

 

 

 

 

 

 

1ère PARTIE : Analyses théoriques de la corrélation

 

 

1. Innovation et croissance économique chez Schumpeter : une première approche

 

1.1 De la statique à la dynamique économique

1.2 L'interprétation des tendances en terme d'innovation

 

2. Le renouveau des théories de la croissance

 

2.1 Les analyses néo-schumpeteriennes

2.2 L'approche en terme de découpage évolutionniste de Rostow

2.3 Les théories de la croissance endogène

 

 

2ème partie : De la théorie aux faits

 

 

1. Innovation et croissance dans les pays développés

 

            2. Innovation et croissance dans les Nouveaux Pays Industrialisés (NPI)

 

            3. Innovation et croissance dans les pays sous-développés


 

 

 

 

 

 

 

"La croissance revient", "L'économie américaine bat des records de croissance", "Le Japon sort du trou noir" : à la lecture de la presse, générale comme économique, l'année 2000, au-delà de son image de charnière vers le troisième millénaire, s'impose comme celle d'une conjoncture plus que favorable. Peut-être les signes avant-coureurs d'un nouveau cycle d'expansion durable? Ce type de considération nous amène indubitablement à l'étude des mécanismes mêmes de la croissance, phénomène économique majeure dont la meilleure compréhension permettrait d'y apporter de nouvelles réponses.

 

En effet, une multitude de variables lui sont corrélées apparaissant ainsi comme les pièces du grand puzzle qu'elle représente. Comprendre ces variables et les expliquer, c'est comprendre la croissance elle-même (par son contexte, etc...).

 

Aussi, dans ce rapport, mettrons-nous une lumière une variable relativement intéressante du point de vue empirique : l'innovation industrielle. Il s'agira d'en étudier la corrélation avec la croissance afin de compléter cette mosaïque déjà assez complexe. Après avoir dressé les principales théories ayant cours sur ce sujet, nous rentrerons plus avant dans l'explication de cette interaction dans l'optique de révéler le rôle de l'innovation industrielle sur le processus de la croissance, la question fédératrice étant bien évidemment : Peut-on expliquer la croissance en terme d'innovation et surtout s'agit-il du déterminant majeur d'une croissance stable et durable ?

 

 

1ère PARTIE : Analyses théoriques de la corrélation

 

 

 

 

1. Innovation et croissance économique chez Schumpeter : une première approche

 

 

1.1 De la statique à la dynamique économique

 

 

Dans le but d'aborder l'analyse schumpéterienne de l'évolution économique, il est nécessaire d'en préciser avant tout le contexte. Aussi, insisterons-nous sur les concepts d'états statique et dynamique.

Schumpeter va donc opposer la statique caractérisée par la routine, le manque d'initiative, l'équilibre walrasien ainsi qu'un certain automatisme, à la dynamique. Il emploiera à l'occasion l'image de la circulation sanguine (afin de signaler les aspects circuit et continu du premier état) pour marquer cette différence profonde entre deux situations qui sont à la base même de son raisonnement. Alors que ce premier état est caractérisé par l'absence de toute innovation, le second s'explique justement par l'introduction de celles-ci qui vont engendrer une évolution discontinue qui vient rompre avec la continuité de la situation statique évoquée plus avant. Dès lors, d'autres variables engendrées par l'innovation et qui n'étaient pas prises en compte auparavant vont apparaître :

- le crédit

- l'emploi

- l'investissement,

- l'intérêt.

Variables qui auront un impact plus ou moins important sur la croissance. On peut se rendre compte que sitôt l'innovation introduite dans son raisonnement, Schumpeter oppose à la statique une vision dynamique de l'économie caractérisée entre autres par sa discontinuité et où plusieurs variables sont à considérer. On a là un premier élément d'étude qui va nous permettre d'introduire l'analyse de Schumpeter qui se place dans un cadre dynamique, l'innovation y apparaissant comme le moteur de la croissance.

 

 

1.2 L'interprétation des tendances en terme d'innovation

 

 

Schumpeter va attribuer l'existence des cycles à la dynamique spécifique de l'innovation qui ne peut être mise en oeuvre que par un seul agent économique : l'entrepreneur. Dans ce processus de l'évolution économique, elle peut revêtir cinq formes qui sont les suivantes :

- l'innovation produit qui correspond à la fabrication d'un nouveau bien non familier au cercle des consommateurs,

- l'innovation de procédé qui consiste en l'introduction de nouvelles méthodes de production pratiquement inconnues de la branche concernée de l'industrie,

- l'existence d'un nouveau marché,

- la conquête d'une source nouvelle de matières premières,

-          l'émergence d'une nouvelle organisation.

-           

Quels vont être précisément les mécanismes avancés pour expliquer ce rôle central de l'innovation quant aux cycles et à la croissance économique ?

 

Avant toute chose, cette succession entre phase de prospérité et de dépression s'explique par la mauvaise répartition des innovations dans le temps qui vont apparaître par groupes ou grappes. En effet, ces dernières en suscitent d'autres, aussi doit-on faire face à des grappes d'innovations qui déclenchent l'expansion économique pendant de longues années (il s'agit généralement d'innovations majeures). Vont alors succéder à ce phénomène un certain nombre d'innovations mineures ou incrémentales (non discontinues et ne conduisant pas les entreprises à de profonds bouleversements). Durant cette période, on aura un recours massif au crédit (pouvoir d'achat nécessaire pour financer les innovations) tandis que l'on assistera à une vague d'investissements liée à leur rentabilité certaine. Compte tenu de ces perspectives de profit, des concurrents vont s'introduire dans le sillage de notre innovateur ou entrepreneur pur au sens de Schumpeter, afin de bénéficier de cette voie tracée, si bien que l'on arrivera à une situation de saturation du marché qui conduira irrémédiablement vers la dépression. Celle-ci sera caractérisée par la baisse des prix, la déflation du crédit bancaire, l'instabilité des taux d'intérêt entre autres. Au vu du mécanisme tel qu'il fonctionne dans sa globalité, apparaît clairement le rôle primordial de l'innovation dans la formation du crédit, dans les occasions d'investissements notamment (variables définies précédemment) et dans la croissance économique par ce biais.

Schumpter a usé de son raisonnement pour interpréter les cycles Juglars, les kitchins et les Kondratieffs (cycles de cinquante ans en moyenne). Il assimile le cycle comme le passage d'un équilibre walrasien à un autre (équilibres différents à chaque fois s'inscrivant dans le processus de la croissance). Ainsi, il explique la phase A comme correspondant au temps nécessaire à l'assimilation, la diffusion et l'amortissement des nouvelles conditions d'activité, l'épuisement des opportunités créées ainsi que l'intensification de la concurrence conduisent à un "turning point" annonçant de surcroît la phase B qui s'apparente à une période d'évacuation des capacités de production en excès et des dettes correspondantes, ainsi que de gestation d'une nouvelle vague d'innovations qui émergera à la fin du climat d'incertitude et d'instabilité des prix et des taux d'intérêt (afin d'établir un calcul économique rationnel), dans le but de relancer le cycle suivant d'expansion (nouvelle phase A).

 

Cette démarche suivie par Schumpeter nous montre bien le rôle central de l'innovation dans la croissance économique (passage d'un équilibre à un autre), démarche qui ne tardera pas à connaître des extensions et des versions alternatives

 

 

 

2. Le renouveau des théories de la croissance

 

 

2.1 Les analyses néo-schumpeteriennes

 

 

Rosenberg et Frischtak sont les représentants de cette mouvance qui cherche à démontrer le lien entre innovation et cycle long. Selon eux, le progrès technique aura des incidences en amont et en aval de l'industrie concernée.

En amont tout d'abord, l'innovation initiale va conditionner des décisions supplémentaires d'investissements dans le secteur des biens de production qui entraîneront elles-mêmes une seconde vague d'innovations.

Pour ce qui est de l'aval, il s'agit de la baisse des prix où l'innovation entrera comme composante. Par cette baisse des prix, on aura différents phénomènes telles l'expansion de la taille du marché, celle de l'investissement et du progrès technique dans la branche concernée.

Pour les raisons évoquées, l'innovation influencera la croissance économique selon cette mouvance (exemple de la chimie qui a une influence considérable dans le secteur du textile).

 

 

2.2 L'approche en terme de découpage évolutionniste de Rostow

 

 

Walt Whitman Rostow, économiste américain, a établi un découpage dans lequel il explique que toute société passe successivement par cinq étapes dans son processus de croissance. L'innovation y apparaît comme une explication non seulement du processus de croissance mais aussi de sa longévité. Les cinq phases définies par Rostow sont les suivantes :

- la société traditionnelle,

- les conditions préalables au démarrage,

- le démarrage,

- le progrès vers la maturité,

- l'ère de la consommation de masse.

Le premier état est caractérisé par une fonction de production limitée, des limites en terme de productivité ainsi que par un manque relatif de connaissances scientifiques et de technologies modernes permettant de dépasser les seuils de production existants (= Europe médiévale).

La seconde étape concerne les sociétés en voie de transition. Ce mouvement est rendu possible par les conquêtes de la science moderne qui donnent naissance à de nouvelles fonctions de production tant dans l'agriculture que dans l'industrie (= Europe de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe). Si on prend la Grande-Bretagne pour illustrer cette phase, on constate un certain nombre d'innovations émergées notamment dans le textile ("spinning jenny" de James Hargreavs, "mule jenny" de Samuel Crompton, etc...).

Le démarrage, quant à lui, présente les caractéristiques suivantes :

- phase pendant laquelle la croissance est un phénomène normal,

- accélération des innovations,

- développement rapide des industries nouvelles,

- les nouvelles techniques se répandent dans l'agriculture et dans l'industrie.

Le démarrage a pour cause principale la technologie, mais elle n'est en rien une explication exclusive. Il implique l'existence et la vitalité d'individus prêts à accepter les innovations (savoir utiliser les techniques nouvelles à bon escient). On constate donc l'importance du progrès technique dans ce qui semble être une attitude décisive du processus de croissance d'une société. Le taux de croissance apparaît ici comme la résultante de la croissance dans trois catégories de secteurs de l'économie :

- les secteurs de croissance primaires où les possibilités d'innovation sont capables de procurer des bénéfices nouveaux entraînant un taux de croissance élevé ainsi que des forces expansionnistes dans d'autres secteurs de l'économie (côté offre),

- les secteurs de croissance complémentaires dont le progrès est entraîné par les secteurs précédents ou indispensables à ces secteurs (côté offre),

- les secteurs de croissance secondaires (côté demande).

La croissance est donc due dans un premier temps aux progrès réalisés du côté de l'offre du fait de la baisse des coûts de production entraînée par l'introduction d'innovations. Pour prendre un exemple concret, on constate que les démarrages de la France, de l'Allemagne, des USA, du Canada et de la Russie coïncident avec la mise en place du chemin de fer.

La marche vers la maturité apparaît comme l'étape de l'application de la technologie moderne à chacun des secteurs de l'économie où le progrès est soutenu. Il s'agit de l'étape au cours de laquelle l'économie montre qu'elle peut dépasser le stade des industries qui l'ont fait démarrer à l'origine et appliquer efficacement les découvertes à la pointe de la technologie de l'époque.

Enfin, l'ère de la consommation de masse, ultime phase du schéma de Rostow, marque un certain changement d'orientation de la société. En effet, elle a cessé de considérer le progrès constant de la technique moderne comme l'objectif primordial. En outre, l'essentiel des progrès est à présent réalisé du côté de la demande et non de l'offre (Welfare State).

 

Cette conceptualisation des étapes de la croissance développée par Rostow contribue à souligner le rôle non négligeable que l'on peut accorder à l'innovation puisque suivant ce schéma on peut voir à quel point elle intervient à chaque moment décisif du processus.

Seulement, on ne doit en aucune façon se limiter à ce découpage qui, en voulant généraliser pour tous les pays une procédure de croissance, n'en apparaît pas moins arbitraire et limitée. De plus, Rostow, s'il reconnaît l'importance du progrès technique, ne lui attribue pas un rôle exclusif puisqu'il insiste sur l'existence d'autres variables qu'il faut prendre en compte parmi lesquelles le contexte historique (variables sociales).

 

 

 

2.3 Les théories de la croissance endogène

 

 

a) Caractéristiques

 

S'appuyant sur les travaux réalisés dans le domaine de l'économie industrielle, les nouvelles théories de la croissance économique appelées théories de la croissance endogène considèrent ce comportement comme un phénomène économique. En effet, c'est à partir du comportement des agents en terme d'investissements entre autres que l'on vient aborder ce thème, ce qui vient trancher avec les anciennes théories. Les caractéristiques principales sont notamment la présence de rendements d'échelle croissants, l'abandon des modèles de concurrence pure et parfaite (cf. modèle de Romer où il y a instauration d'une situation de monopole sur le marché des biens intermédiaires) et la multiplicité des sources de la croissance. En effet, là où la théorie néoclassique ne voyait qu'une seule source (l'accumulation du capital physique), les théoriciens de cette mouvance en détectent plusieurs tels l'investissement en capital physique, en capital public, en capital humain ; l'apprentissage par la pratique ; la division du travail ; et la recherche et l'innovation technologique.

Elles attribuent au progrès technique un rôle moteur dans la croissance dépassant les anciennes théories sur deux points :

- la considération du progrès technique comme relevant d'une activité économique rémunérée,

- la modélisation plus poussée et riche des formes de la technique et de la révolution.

Il s'agit précisément de s'attacher aux implications du progrès technique dans la croissance qui revêt ici un caractère endogène (= stock de connaissances homogènes) contrairement au modèle néoclassique où il se définissait comme une variable exogène.

 

 

b) Nature et incidences du progrès technique

 

Il est important de noter que c'est d'abord les caractéristiques du progrès technique, de l'innovation qui expliquent ce rôle moteur dans la croissance économique. En effet, il se définit comme un stock de connaissances homogènes. Or, celles-ci sont assimilables à la fois à un bien cumulatif et public. On les qualifiera de cumulatives dans le sens où chaque découverte s'appuie sur d'autres (= impulsion, point de départ) découvertes, et contribuent à accroître le stock de connaissances pour les générations futures ; et de publiques dans la mesure où le savoir pourra servir à d'autres simultanément et à moindre coût. Chaque chercheur contribuera donc à accroître la productivité d'autres chercheurs, ce qui est nécessaire à la croissance auto-entretenue (= externalité au coeur de la croissance).

Outre le fait que ces théories de la croissance endogène introduisent des structures de concurrence imparfaite (concurrence monopolistique), elles poussent la modélisation du progrès technique, ce qui nous permet de comprendre davantage les incidences sur la croissance. Celle-ci est synonyme d'augmentation du bien-être dans l'économie. Or, le progrès technique, parce qu'il permet l'augmentation de la qualité des biens (augmentation de la satisfaction), mais également de leur quantité (augmentation du volume), aura précisément une incidence sur le bien-être. Via les différenciations horizontale (augmentation de la diversité) et verticale (augmentation de la qualité) des biens de consommation ou de production, on voit se dessiner deux trajectoires de croissance légèrement différentes (croissance par addition pour la première et croissance par augmentation de la qualité pour la seconde).

Dans le cas de la différenciation horizontale par exemple, pour ce qui est des biens de consommation, on aura deux situations envisageables :

- soit l'individu a un optimum de variété et plus on augmente le nombre de variétés disponibles sur le marché, plus on a de chance de s'approcher de cet optimum,

- soit du fait de la préférence de la diversité, plus on augmente le nombre de biens, plus les individus seront satisfaits.

Pour ce qui est des biens de production, un choix plus grand permet à chaque producteur d'avoir accès à du matériel adéquat aux besoins (de plus en plus précis) entraînant de ce fait une plus grande productivité (plus on a d'outils différents plus la productivité augmente).

Dans le cas de la différenciation verticale, on aura un phénomène de destruction créatrice puisque l'on aura un nouveau bien qui remplira une fonction d'une meilleure façon que le précédent (cas de la caméra et du camescope), ce qui veut dire que le neuf chasse l'ancien, du fait d'un meilleur rapport qualité/prix qui aura pour conséquence une hausse de l'utilité.

Mais à côté de cette idée de différenciation, il existe une autre dimension du progrès technique. Aussi, un certain nombre de modèles qui jugent l'approche précédente réductrice admettent l'hétérogénéité et l'organisation des innovations. On peut citer par exemple les deux modèles de Young pour illustrer cette alternative. L'un d'eux souligne la plausibilité que chaque innovation puisse être complémentaire de certaines technologies existantes et en même temps se substituer à d'autres (exemple de l'informatique avec la mise en service d'un nouveau microprocesseur qui entraîne une hausse de la vente d'ordinateurs ayant une mémoire à plus grande capacité et en même temps le déclin de ceux à faible mémoire).

Au vu de toutes ces caractéristiques des théories de la croissance endogène et du mécanisme qu'elles considèrent, on comprend mieux dans quelle mesure on peut établir une relation positive entre progrès technique et croissance économique (caractère public et cumulatif, différenciation, complémentarité...). Ces théories font véritablement du progrès technique un moteur de la croissance.

 

 

c) Un exemple de théorie : le modèle de Romer

 

Ce modèle, comme on a pu le voir précédemment, va endogénéiser le progrès technique comme résultant de nouvelles idées, autrement dit de la recherche et développement (on introduit une idée en plus, la recherche de nouvelles idées). Romer via son travail va chercher à expliquer la croissance soutenue dans les pays développés.

A partir des mêmes équations d'accumulation que dans le modèle de Solow et d'une fonction de production Cobb Douglas faisant intervenir le progrès technique qu'il explique par la création de nouvelles idées, Romer va montrer que sur le sentier de croissance équilibrée toute la croissance per capita est due au progrès technique. Plus précisément, le taux de croissance de long terme va dépendre des paramètres de la fonction de production des idées et du taux de croissance de la population. Si bien que la croissance peut s'expliquer en amont par la dynamique des idées autonomes et l'augmentation du nombre de chercheurs qui conditionne l'augmentation de nouvelles idées.

Romer distinguera trois secteurs pour résoudre son modèle :

- le secteur du bien final où l'on a concurrence pure et parfaite et où l'invention d'une nouvelle idée correspondra à la création d'un nouveau bien capital,

- le secteur du bien intermédiaire où l'on a concurrence imparfaite (condition de maximisation du profit du monopole) qui transforme les nouvelles idées (capital brut) en bien capital (achat de brevets),

- le secteur de la recherche et développement où les inventeurs créent les idées.

Via le secteur du bien intermédiaire, Romer introduit la concurrence imparfaite, condition nécessaire pour les rendements croissants (astuce). Ce secteur fait donc le lien entre les deux autres, d'où son importance. A partir de l'articulation de ces trois secteurs, et compte tenu de leurs conditions respectives, il arrivera à la conclusion qu'une croissance plus rapide est corrélée à une proportion plus importante de la population dans le secteur de la recherche.

Finalement, ce modèle montre bien que la croissance est liée au progrès technique, d'autant plus que la part de la population dans le secteur de la recherche influera sur la vitesse de cette croissance expliquant dès lors la diversité des taux de croissance ainsi que la croissance soutenue. Une dernière chose à souligner est que dans ce modèle comparé à d'autres modèles de croissance endogène, tel le modèle AK ou celui de Lucas, une politique quelle qu'elle soit (stimulation de la recherche et développement) aura un effet de niveau sur la croissance et non permanent.

 

 

Finalement, l'ensemble des théories que nous avons traitées (de Schumpeter aux modèles récents) montre la prépondérance de l'innovation qui semble agir au coeur même de la croissance économique et des mouvements cycliques. Il s'agit maintenant de confronter la théorie aux faits afin de vérifier empiriquement la pertinence de ces modèles quant à la corrélation établie.

 


2ème partie : De la théorie aux faits

 

 

1. Innovation et croissance dans les pays développés

 

 

            Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les pays occidentaux, dits « les plus industrialisés », ont connu une croissance soutenue. Bien qu’en ralentissement depuis la fin des trente glorieuses, celle-ci reste plus forte que dans le reste du monde. Cette croissance a de nombreuses origines qui ne sont pas évidentes à définir précisément, mais on peut citer l’innovation comme l’une des variables qui explique fortement l’accroissement des richesses d’un pays.

 

Les théories quant aux effets bénéfiques de l’innovation se vérifient très bien dans les pays industrialisés. En effet, c’est la modification volontaire des conditions du processus de production qui provoque et entretient le développement économique.

 

On peut distinguer deux effets de l’innovation sur la croissance des pays riches : d’abord la croissance endogène, issue directement du progrès technique et qui permet des gains de productivité, ensuite la croissance exogène, qui parvient aux entreprises par phénomène d’externalité. L’innovation ne vient pas de l’entreprise mais elle en profite tout de même, par l’accumulation des connaissances par les travailleurs et aussi la vente de machines qui peuvent contenir un certain capital technique.

 

Quelles que soient  les innovations apportées par les entreprises, elles sont source de progrès, de croissance et de développement. Si on se réfère à la thèse de Schumpeter par laquelle le progrès arrive par grappe, on peut penser que toutes les grandes phases de croissance et développement sont le résultat d’une innovation majeure.

 

De plus, sans innovation on assiste à une baisse inéluctable de la productivité. Sans progrès technique, on assisterait à une stagnation de la production (loi des rendements décroissants), il n’est donc pas étonnant de voir que les pays les plus innovants sont à la tête de l’économie mondiale.

 

 

            Cette forte croissance dans les pays développés est illustrée par l’augmentation du PIB par tête depuis la fin de la guerre.

 

 


 


 

 

 

 

 


            La croissance actuelle moyenne des pays les plus avancés est de 2.4% par an, alors que celle du reste du monde ne dépasse pas 0.86%.

 

La population du des pays du Nord est composée de travailleurs qualifiés employés dans un secteur de recherche pure, recherche qui permet l'introduction de nouvelles variétés de biens sur le marché (elle est financée par les rentes technologiques extraites précédemment par les entreprises.) et de travailleurs non-qualifiés, employés dans le secteur industriel et bénéficiant du progrès technique, fruit de ces recherches en R & D.

 

            On constate d’ailleurs que les entreprises qui investissent beaucoup dans la recherche et développement créent plus d’emploi que les autres.

 

 

 

Evolution des emplois des entreprises actives ou non en R & D (1986-1993)


dans les pays de l’OCDE :

Source : OCDE (www.ocde.org)

 

 

 

            On observe donc qu’émerge une synergie « innovation – croissance – emploi » dans les secteurs de forte concentration des efforts en R & D, alors que la plupart des autres secteurs enregistrent une érosion de leur niveau de production.

Les secteurs de croissance sont ceux où l’intensité de recherche et développement est la plus forte. Autrement dit, la technologie a favorisé l’apparition de nouveaux domaines d’activité et de nouvelles possibilités d’emplois depuis le début des années quatre-vingt.

Il existe donc une corrélation entre intensité technologique (mesurée en terme de R & D) et les taux de croissance de la production et de la productivité. Les secteurs qui ne connaissent qu’un taux de croissance modéré sont en général caractérisés par une faible intensité technologique.

            L’innovation n’est pas simplement le résultat d’une idée géniale, mais plutôt le fruit d’une recherche approfondie et coûteuse.

 

            Mais cette importance d’investissement dans la R & D vient de la volonté de l’Etat de chaque pays industrialisé d’aider ses entreprises à produire mieux. En France, toutes les firmes n’ont pas un égal accès au financement de l’innovation, les grandes étant privilégiées par rapports aux petites et moyennes entreprises. L’Etat considère que l’aversion au risque des agents privés, préjudiciable au dynamisme de l’innovation, doit être compensé par la collectivité publique afin d’assurer une meilleure décision pour l’ensemble de l’économie. De fait, dans la quasi-totalité des pays riches, les pouvoirs publics ont des politiques d’encouragement à la recherche et à l’innovation. Depuis une décennie, ces politiques se seraient même plutôt renforcées, alors même que l’Etat tendait à se désengager de nombreux autres domaines.

 

 

                        Montant et répartition de la R & D :

 

 

 

1959

1967

1979

1985

1991

1993

1995

DIRD

3,1

12,2

44

106,3

164

173,7

179,4

% du PIB

1,15%

2,16%

1,78%

2,25%

2,40%

2,45%

2,35%

Part de l'Etat

70%

71%

56%

57%

54%

51%

50%

 

            Cette forte implication de l’Etat et des entreprises dans les investissements en R & D s’explique par le fait que, d’après les études de Mairesse et Sassenou (1991), 1% de dépenses de R & D en plus sont associées à 0.2% de plus de productivité globale.

 

Conclusion :

 

            La relation « R & D – Innovation – Croissance »semble donc bien vérifiée dans les pays développés. Cependant, certaines théories macro-économiques actuelles tendent à relativiser cette relation, il s’agit du paradoxe de la productivité. En effet, on constate que les gains de productivité ont fléchi depuis une vingtaine d’années. Il y a donc, malgré le sentiment d’un changement toujours plus rapide, un ralentissement des gains de productivité dans l’ensemble des pays industrialisés, et non une accélération. Dans ces pays, la productivité progressait avant 1973 à un taux annuel moyen proche de 3%, et est passé à 1% depuis. Cela peut s’expliquer par le fait que la plupart des pays développés ont déjà rattrapé leur retard sur les Etats Unis, et seuls les pays encore en développement pourraient encore voir leur productivité augmenter à un rythme soutenu grâce à l’innovation.

 

 

 

 

 

 

2. Innovation et croissance dans les Nouveaux Pays Industrialisés (NPI).

 

 


 

 

 

 


            Les nouveaux pays industrialisés, même s’ils n’ont pas encore atteint le niveau de développement des pays les plus industrialisés, ont connu une croissance très soutenue, surtout à la fin du 20ème siècle.

            Ces nations ont réussi, elles aussi, à mettre en place le cercle vertueux « R&D – Innovation – Croissance » et ont rattrapé tout leur retard en matière de gains de productivité.

Mais l’investissement en R&D n’est pas venu de lui même dans les NPI, qui auraient pu tout simplement profiter des nouvelles technologies développées par les pays riches pour obtenir des gains de productivité.

En effet, les pays du Nord ont essayé de protéger les résultats de leurs recherches en R&D en créant de nouvelles lois en matière de propriété intellectuelle. On a donc vu beaucoup augmenter le nombre de brevets en Europe et aux Etats Unis, et l’utilisation des nouvelles techniques est devenue coûteuse pour les pays moins riches.

 

Ces mesure, initialement dénoncées par les pays en voie de développement comme une nouvelle forme de protectionnisme, ont finalement été soutenues, en particulier par les NPI pour qui le respect des droits à la propriété intellectuelle était une nécessité pour que se développent des secteurs innovateurs nationaux.

A leurs yeux, l'application d'une telle mesure diminuait le risque d'actions unilatérales par les pays développés et pouvait favoriser l'investissement direct étranger en provenance de ces pays.

Enfin, la levée des barrières dans les secteurs traditionnels constituait une compensation potentielle.

 

Les investissement en R&D sont donc devenus indispensables, et la plupart des pays du sud qui n’ont pas pu suivre n’ont toujours pas réussi à se développer, et se contentent de bénéficier, avec beaucoup de retard, des innovations provenant des pays du Nord.

 

 

 

 

 

 

3. Innovation et croissance dans les pays sous-développés.

 


 

 

 

 


            Les pays encore sous-développés, ou même en développement, ne sont pas financièrement capables de financer un quelconque effort dans la recherche. Ils ne peuvent que se contenter de suivre les pays innovateurs, mais avec du retard et sans bénéficier des mêmes technologies pour produire des copies des produits des pays du Nord.

Les pays sous-développés profitent essentiellement de leurs faibles coûts de production, provenant essentiellement d’une main d’œuvre très peu chère. Le coût d’imitation des nouveaux produits inventés par les et demandés par les pays innovants reste un obstacle à leur développement, mais ils finissent quand même par bénéficier des innovations du Nord et des nouveaux moyens de production.

 

            L’immense majorité des chercheurs se trouve dans les pays développés, et on constate donc que la plupart des brevets et licences sont déposés par des firmes des pays riches. Les pays sous-développés ne peuvent qu’attendre que les grandes firmes internationales investissent chez eux, afin de se développer et de pouvoir, ensuite, ne pas être toujours dépendants des pays les plus industrialisés.


 

 

 

            Conclusion :

 

 

 

 

            Les théories, tout comme les constatations faites dans différents pays, montrent que l’innovation est une des moteurs de la croissance dans les pays développés.

Certes, il n’est que très peu possible de quantifier et d’évaluer l’innovation dans les pays les plus pauvres, mais on constate bien que le manque de recherche est une lacune qui les empêche de se développer convenablement.

 

L’innovation est très favorisée dans les pays riches, et tous les modèles économiques qui en tiennent compte acquiescent dans ce sens. Elle est source de progrès, de croissance et donc aussi de développement. Les phases de croissance et de développement sont le résultat d’innovations majeures, et l’innovation permet une hausse de la productivité et est donc indispensable.