DOSSIER D’HISTOIRE DE L’ANALYSE DE LA CROISSANCE ECONOMIQUE

 
 
 

HARROD-DOMAR

 
 





Par Beatriz Betegón
Licence APE, année 1998-1999
 
 


PLAN

INTRODUCTION

 

PARTIE I : LE CONTEXTE : LA PENSEE KEYNESIENNE ET LA CRISE DE 1929

 

PARTIE II. DOMAR ET LES LIMITES DE L’ANALYSE KEYNESIENNE

A)La théorie de la croissance de Domar

A.1) Les capacités de production et le taux de croissance

A.2) La double nature de l’investissement

A.2.1) L’effet "capacité" de l’investissement

A.2.2) L’effet "revenu" de l’investissement
 

A.3) La nécessité d’un taux de croissance à l’équilibre

A.4) L’investissement, remède et cause

PARTIE III. HARROD ET L’INSTABILITE DE LA CROISSANCE

A) Harrod ou le début de la macro-économie moderne

A.1) Roy Forbes Harrod (1900-1978)

A.2) Le début de la macro-économie moderne

B) La théorie de Harrod et le modèle Harrod-Domar

B.1) Le premier problème de Harrod: le taux de croissance garantit

B.2) Le deuxième problème de Harrod: l’instabilité du taux de croissance
 

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

 

 
 

INTRODUCTION


Le but de ce travail est d’exposer les théories de la croissance de Harrod et de Domar à partir de l’article « Expansion et Emploi », (Domar, 1947) et un extrait de l’ouvrage « Théorèmes Dynamiques Fondamentaux », (Harrod, 1948) . Même si ces deux publications datent d’après la deuxième guerre mondiale, leur propos et de décrire tout un autre contexte, celui des années trente. En effet, ces théories veulent montrer que la crise de 1929 est une preuve de l’instabilité du système capitaliste. Je vais donc commencer par rappeler les caractéristiques de ce contexte, la crise de 1929 et la pensée keynésienne pour traiter ensuite la problématique de la croissance de Harrod et Domar qui implique des nouveautés dans la tradition keynésienne. Ces deux modèles de croissance avec progrès technique endogène (implicite dans ce modèle), introduisent d’abord l’idée de nécessité d’un taux de croissance du revenu à l’équilibre et ensuite ils montrent la forte instabilité de cet équilibre.
 
 
 

PARTIE I : LE CONTEXTE : LA PENSEE KEYNESIENNE ET LA CRISE DE 1929


Dans la Théorie Générale de Keynes, tout le revenu distribué par les entrepreneurs n’est dépensé que s’il est consommé ou investi. Quand le revenu total augmente, la consommation n’augmente pas autant, donc si l’emploi supplémentaire est consacré à la production, il y aura des pertes, en d’autres mots l’offre ne crée pas sa propre demande ce qui contredit la théorie classique (Loi de Say). Pour Keynes ce qu’il faut à ce moment là c’est un investissement suffisant pour absorber l’excès de la production totale. Il y a donc un équilibre où toutes les capacités ne sont pas employées, c’est donc un équilibre de sous emploi. Quand l’incitation à investir n’est pas suffisamment forte et ne peut pas absorber toute la production non consommée, l’épargne apparaît. On se trouve alors face au chômage. L’équilibre ne sera rétabli (sauf si intervention de l’Etat) qu’au niveau d’activité et d’emploi inférieur, où la production offerte pourra être écoulée et où l’investissement permettra d’absorber la production qui n’a pas été consommée.

D’après ce bref résumé de la théorie de Keynes, deux points doivent être soulignés. Premièrement, le rôle important de l’investissement et de la demande, qu’on retrouve également dans la théorie de Harrod et Domar ce qui montre leur forte inspiration keynésienne. La différence ici par rapport à Keynes, concerne en particulier le rôle de l’investissement, lequel, comme on va le voir, est élargi dans le modèle de Domar. Deuxièmement, et c’est là le point crucial, la théorie de Keynes expose une problématique de l’équilibre et déséquilibre de court terme et non pas une problématique de long terme et donc de la croissance.

La parution de la Théorie Générale de Keynes date de 1936 et donc, après la crise de 1929. Même si dans sa théorie, Keynes n’essaie pas vraiment de donner une explication à la crise de 1929, il dénonce l’économie capitaliste et il dit qu’elle n’est pas forcément stable. Keynes conçoit une théorie économique plus instrumentale qui renouvelle la présentation des relations économiques par rapport à la vision libérale : il évite de raisonner par marchés pour raisonner par fonctions (investissement, consommation…) et par circuits. Il dénonce aussi l’efficacité de la Loi de Say. Les événements ont montré que l’offre ne crée pas sa propre demande : une part du revenu engendré par le processus de production peut ne pas retourner dans le processus, c’est à dire peut ne pas être consommé, mais épargnée. Selon Keynes une épargne trop importante et une consommation trop faible peuvent très bien mener à une situation de dépression chronique du type de celle de 1929. L’épargne doit donc être dépensé, c’est à dire investie selon les keynésiens. C’est justement à partir de ces affirmations que Domar complète Keynes : l’absence de thésaurisation ne suffit pas, il faut aussi un accroissement des dépenses.
 
 
 
 

PARTIE II. DOMAR ET LES LIMITES DE L’ANALYSE KEYNESIENNE

 

A) La théorie de la croissance de Domar

Evsey Domar, économiste nord-américain, né en 1914, montre les limites de l’analyse keynésienne dès 1946-47 dans son article "Expansion et emploi". Pour lui, l’investissement est une dépense mais aussi une variation du stock de capital qui dégage des capacités de production.
 

A.1) Les capacités de production et le taux de croissance

Selon Domar, pour analyser le processus de la croissance, il faut voir l’investissement non seulement comme un instrument générateur de revenu (comme pour Keynes), mais aussi comme un créateur de capacités de production.

Selon Domar, une économie en plein emploi avec un revenu de plein emploi et avec un investissement annuel, peut s’attendre à que ce niveau de plein emploi soit maintenu. Cependant, s’il y a eu investissement, forcément il y a eu une formation de capital, et donc, s’il y a eu une formation de capital, forcément, les capacités de production de l’économie ont augmenté. Alors, si ce niveau de revenu de plein emploi est maintenu, les capacités de production crées resteront inutilisées, on aura du chômage. A ce moment là, c’est un niveau de revenu supérieur qui permettra d’écouler ce supplément de capacité de production et éviter ainsi le chômage. La solution au problème du chômage réside donc dans un revenu croissant.

Le problème que se pose alors Domar, c’est: si l’investissement augmente la capacité de production et crée du revenu, quel doit être le taux de croissance de l’investissement de manière à rendre l’augmentation du revenu égale à celle de la production pour que des capacités de production ne restent pas inutilisées ?
 

A.2) La double nature de l’investissement

Domar essaie d’établir une telle équation. Cette équation représente les deux natures de l’investissement: L’effet revenu, du côté de la demande et l’effet capacité, du côté de l’offre.
 

A.2.1) L’effet "capacité" de l’investissement

Premièrement, il définit ? comme “moyenne de la productivit? potentielle sociale de l’investissement". Moyenne, car il se réfère à la productivité de toutes les usines, les nouvelles qui ont été crées avec l’investissement, et celles qui existaient déjà.

Dans d’autres termes,  indique l’augmentation de la capacité de production qui accompagne chaque dollar investi et non pas la croissance du revenu produite par chaque dollar investi. Soit I l’investissement annuel de l’économie.
Il définit alors = accroissement possible pour l’économie. C’est le côté de l’offre de l’équation. Si est élevé cela indique que l’économie est capable d’augmenter sa production relativement vite : la question est de savoir si cette capacité accrue amènera à une plus grande production ou à un chômage. Cela dépendra du comportement du revenu monétaire.

A.2.2) L’effet "revenu" de l’investissement

C’est le revenu dégagé par l’accroissement de l’investissement, c’est tout simplement la théorie du multiplicateur de Keynes et représente le côté de la demande de l’équation:

                                              (1)

où propension marginale à épargner
 
 

A.3) La nécessité d’un taux de croissance à l’équilibre

A l’équilibre dynamique la masse de revenu crée par l’accroissement de l’investissement (effet revenu) doit permettre d’écouler la masse supplémentaire de biens produits par l’accroissement des capacités de production (effet capacité). Pour qu’il n’y ait pas de capacités de production inutilisées il faut que l’effet capacité et l’effet revenu dégagés par la variation de l’investissement soient égaux:
 
 

                                     (2)

                                                                

                                     (3)

Cette dernière équation (3) définit le taux de croissance annuel de l’investissement nécessaire au maintien du plein emploi sans gaspillage de capacités de production. Ce taux nécessaire de croissance est . Domar veut faire remarquer le fait que l’accroissement du revenu n’est pas fonction du montant investi, il est fonction de l’accroissement de l’investissement. C’est la totalité de l’investissement qui accroît la capacité de production (côté gauche de l’équation (2)), mais seul la part correspondante à un accroissement de cet investissement augmente le revenu national.
 

A.4) L’investissement, remède et cause

Dans ce modèle,  est très difficile à faire varier et fait qu’on ne puisse obtenir un niveau de revenu et donc d’emploi plus élevé qu’à travers un accroissement de l’investissement. Mais cet investissement, en raison de l’effet « capacité » fait que l’économie se trouve dans un dilemme : « si des investissements suffisants ne sont pas atteints aujourd’hui il y aura chômage. Mais si on investi assez aujourd’hui il faudra investir encore plus demain si on ne veut pas qu’il y ait chômage demain. »(DOMAR, Expansion et Emploi). En effet, l’effet « revenu » de l’investissement, à travers le multiplicateur est temporaire tandis que la capacité de production a été accrue pour de bon. Finalement, par rapport au chômage l’investissement est « en même temps un remède contre la maladie et la cause de plus grands troubles pour le futur »,(DOMAR, Expansion et Emploi).
 
 
 
 

PARTIE III. HARROD ET L’INSTABILITE DE LA CROISSANCE


Domar dans sa théorie nous donne une condition de croissance équilibrée, qui évite le chômage. Mais cette condition est une condition d’équilibre à chaque instant, donc de court terme, ce n’est pas une analyse dynamique. Harrod va aller plus loin que Domar, il tente une explication de long terme de la croissance économique à partir d’une analyse, proche de Domar mais différente dans le contenu et les objectifs, ce qui va donner naissance à ce qu’on connaît par le modèle Harrod-Domar.
 
 

A)Harrod ou le début de la macro-économie moderne


A.1) Roy Forbes Harrod (1900-1978)

Harrod est anglais comme Keynes mais 17 ans plus jeune. Il suit d’abord des études de philosophie pour ensuite se diriger vers l'économie. A Cambridge il rédige chaque semaine des essais pour Keynes et ils se rencontrent souvent pendant les années 30. Keynes critique ouvertement l'ouvrage de Harrod "The Trade Cycle", où apparaît pour la première fois dans la littérature keynésienne le concept d'une économie croissant à un taux régulier. Harrod tient compte de ces critiques ce qui l'amène à publier en 1939 l'article "An Essay on Dynamyc Theory", qu'il adresse à Keynes. Après la mort de ce dernier, Harrod poursuit son travail sur la croissance dans l'ouvrage de 1948 "Théorèmes Dynamiques Fondamentaux", dont un extrait sert de base à ce travail.

Mais l'activité de Harrod ne s'est pas limitée à l'économie, il a aussi participé à la vie politique anglaise, notamment en exerçant comme conseiller de W. Churchill pendant la seconde guerre mondiale et de Harold Macmillan, Premier Ministre conservateur entre 1957 et1963.
 

A.2) Le début de la macro-économie moderne

Avec Harrod, nous pénétrons dans un univers différent de celui de Schumpeter. D'abord parce que pendant les années 30, l'économie est en train de devenir une science analytique, développée sous la forme de modèles. Deuxièmement parce que Harrod élabore avec Keynes les premiers concepts de ce qui va devenir la macro-économie au sens moderne du terme, notamment le concept d'une économie à un seul bien et le raisonnement en termes agrégés, hypothèse qui simplifie l'analyse. Troisièmement, car las idées développées par Harrod appartiennent au courant qui a donné naissance à la "révolution keynésienne". En effet Harrod étend l'analyse de l'équilibre de sous emploi de Keynes au long terme pour conclure à l'instabilité de la croissance.
 
 

B) La théorie de Harrod et le modèle Harrod-Domar


Le nom de Harrod sera vite associé à celui de Domar, pour désigner le modèle sous le nom de Harrod -Domar ou encore, modèle keynésien de croissance, qui sera considéré comme le modèle de référence de la théorie moderne de la croissance. La théorie de Harrod peut s'exposer en 3 points: les trois problèmes de Harrod, à savoir le problème de l'existence de l'équilibre et le taux de croissance garanti , le problème de l'unicité de l'équilibre et ses propriétés et enfin le problème de la stabilité de l'équilibre à long terme, point qui fait la différence avec Domar ; (les deux premiers peuvent se regrouper en un).
 

B.1) Le premier problème de Harrod: le taux de croissance garantit

Harrod détermine d’abord G, qui est le taux de croissance effectif, c’est une transposition dynamique du concept de revenu effectif et représente donc le taux au quel le revenu croît effectivement dans l’économie.

Il définit ensuite Gw comme le taux de croissance qui permet à l’économie de suivre un sentier d’équilibre. Sur ce sentier, les firmes planifient en permanence un montant d’investissement qui correspond exactement à la fraction du revenu qui a été épargnée. Pour le déterminer, Harrod associe la théorie du multiplicateur de Keynes et le principe d’accélération. Le principe d’accélération intègre l’idée selon la quelle les entrepreneurs fondent leurs projets d’investissement non pas sur le niveau de revenu mais sur la vitesse de son évolution, c’est donc l’investissement désiré des entrepreneurs qui à l’équilibre doit être égale à l’investissement effectivement réalisé. Mathématiquement Harrod établit une telle équation:

    soit Y 0 , Y1 revenu à la période 0 et à la période 1,

    soit s Y 0 , l’épargne réalisée à la période 0,

    soit c(Y1 - Y 0 ), l’investissement désiré,

Les coefficients c et s représentent respectivement le coefficient marginal du capital nécessaire à la maximisation du profit des entrepreneurs et la propension marginale à épargner. A l’équilibre on doit avoir l’égalité entre l’investissement désiré et l’investissement effectivement réalisé qui correspond à l’épargne réalisée :

Y 0 = c(Y1 - Y 0 )

Gw = 

Il existe donc un taux de croissance du produit brut qui permet la satisfaction des plans des entrepreneurs. A ce taux les plans d’investissement sont parfaitement coordonnés avec les plans de consommation (ou épargne). Une telle problématique tire son inspiration de Keynes qui disait déjà dans sa Théorie Générale que les défauts de coordination conduisent les agents à faire des anticipations de dépenses que ne se réalisent pas, c’est à dire que la demande effective ne permet pas le plein usage des capacités.

Le problème est donc de savoir si ce taux qui satisfait les plans des producteurs coïncide avec le taux de croissance effectif du revenu, constaté dans l’économie. En effet si les producteurs n’anticipent pas bien les plans de consommation, le taux de croissance garanti Gw ne sera pas égale au taux de croissance réel ou effectif G, ceci est le premier problème de Harrod.
 

B.2) Le deuxième problème de Harrod: l’instabilité du taux de croissance

Harrod est arrivé à la conclusion qu’il est difficile que G corresponde à Gw. A long terme ceci est encore plus difficile du fait que ces deux taux ne correspondront pas non plus au taux de croissance naturel, Gn, que Harrod définit comme le taux d’expansion que permettent l’accroissement de la population et le progrès technique, c’est donc le taux de croissance maximale possible. Gn représente le sentier d’une croissance de la production tel qu’en chaque point les producteurs seront satisfaits de l’équilibre entre le travail et le loisir. Ce sentier, contrairement au sentier du taux de croissance du taux garanti, admet un chômage involontaire

Comme la poursuite du plein emploi exige que la production augmente au taux de croissance de la population et de la technologie pour qu’il n’y ait pas de capacités inemployées, à l’équilibre il faudra donc l’égalité des trois taux de croissance, G=Gw=Gn. Selon Harrod il est très difficile d’atteindre cette égalité, du fait que ces taux dépendent de paramètres exogènes comme s, c, n et a. De plus, (et c’est le deuxième problème de Harrod) si jamais cet équilibre est atteint, il est «hautement instable», et tout écart accidentel hors du chemin de la croissance équilibrée, entraîne cumulativement l’économie de plus en plus loin de l’équilibre économique, comme s’il y avait une force centrifuge.

Qu’est ce qui se passe exactement lorsque ces trois taux sont inégaux?


 
 

CONCLUSION


Le modèle de Harrod est fortement inspiré de la théorie de Keynes, par la contradiction de la loi de Say et par l’effet du multiplicateur de l’investissement . L’apport majeur de ce modèle est l’approche par le capital, en considérant qu’une variation de l’investissement augmente non seulement le revenu, mais dégage aussi des capacités supplémentaires de production. Domar arrive donc à déterminer le taux de croissance nécessaire de l’investissement qui fait que l’augmentation du revenu qui en découle est suffisante pour combler les capacités de production dégagées par ce même accroissement de l’investissement. Harrod lui, montre l’instabilité de ce sentier de croissance équilibrée et que tout écart du sentier mènera à une expansion ou à une dépression cumulative qui s’écartera de plus en plus de l’équilibre. Ces résultats négatifs, correspondent bien au pessimisme dû à l’instabilité économique et financière après la crise de 1929. Par contre, ces résultats s’opposaient au sentiment de confiance dans la croissance équilibrée caractéristique aux trente glorieuses, époque où les travaux de Harrod et Domar ont été réalisés. Par la suite, le modèle de Solow modifiera ces résultats négatifs en relâchant certaines hypothèses restrictives du modèle Harrod-Domar, comme la rigidité du coefficient du capital (c) et en recourant à la substitualité des facteurs de production. Kaldor, aussi, corrigera le modèle Harrod-Domar en relâchant l’hypothèse de la rigidité de la propension marginale à épargner, (s).

Le modèle de Harrod –Domar, même s’il est un peu «rudimentaire » et soumis à nombreuses critiques, constitue un élément de base essentiel à la compréhension de modèles de croissance plus sophistiqués.
 
 
 
 

BIBLIOGRAPHIE